« Au moment de terminer ce livre, j’apprends qu’on a repéré dans une galaxie lointaine un trou noir qui, au lieu d’avaler les étoiles, en engendre », explique Roxane Desjardins en quatrième de couverture de Trou noir, une œuvre baignant dans cette lumière aveuglante, propre à une métamorphose.

En janvier 2022, l’astrophysicienne Amy Reines et ses collègues de l’Université d’État du Montana ont annoncé avoir découvert à l’aide du télescope spatial Hubble un trou noir au cœur de la galaxie naine Henize 2-10. À la différence des autres trous noirs, celui-là n’engloutissait pas les étoiles, mais en déclenchait la formation. Un riche oxymore astral à l’aune duquel les poèmes de Trou noir, quatrième livre de Roxane Desjardins, pourraient être scrutés comme autant de débris fumants d’étoiles redevenant poussières.

« Ce que je fais avec mon âme, /mes breloques, mes serments, /c’est mon affaire », annonce la voix frondeuse, intime des arcanes de l’obscurité, qui s’exprime dans cette œuvre aiguillée par une quête d’équanimité et de calme. La rage rentrée qui animait Le revers (2018), le précédent livre de la directrice des Herbes rouges, ressemble désormais davantage à une fatigue, parce que si la colère est grisante, elle épuise aussi. « Si je n’ai rien à défendre. /Est-ce qu’il y a quelque chose/derrière/quand l’air/ne m’oppresse plus ? »

Trou noir dresse ainsi le portrait au kaléidoscope d’une femme qui marche à tâtons dans les ruines d’elle-même, inquiète de ce que l’on sacrifie de soi lorsqu’on monte au créneau – « Je suis adroite/j’en sais trop/ma révolte m’en veut/je ne suis pour elle/que véhicule véreux. » –, mais aussi fière de ses cicatrices, à travers lesquelles surgissent des ébauches de lueurs.

Écrits à la fois au je, au tu, au elle et au nous, ces longs textes logorrhéiques, dont le flot semble tenter d’endiguer l’angoisse, alternent entre des images d’une ensorcelante opacité et des passages empruntés à la langue du quotidien. Roxane Desjardins pratique une poésie intransigeante dans son exigence formelle, mais qui s’autorise de plus en plus l’autodérision, la douceur et la gratitude.

Trou noir décrit peut-être surtout une métamorphose, pour ne pas dire une mue, la mort de quelque chose dont émergerait, délestée, une nouvelle entité. « Ce livre ne va pas se terminer », nous promet-on, alors qu’une femme se fond avec une sorte d’eau originelle. Mais le silence ? Non, jamais. « J’en viens à me convaincre/que me taire est une position/de force. Puis mon ventre s’ouvre. » Il y a peu de lumière aussi vivifiante que celle qui succède à la souffrance.

Trou noir

Trou noir

Les Herbes rouges

152 pages

8/10