Une nuit, alors qu’elle est en voyage, Mikella Nicol est accostée par un homme qui lui annonce qu’elle aura un jour « à rendre des comptes pour sa belle apparence ». C’est pourtant elle qui règle aujourd’hui ses comptes avec la beauté dans Mise en forme, un troisième livre porté par sa troublante intuition que « la violence et la beauté définissent à parts égales la féminité ».

Il y a quelques années, à la suite d’une de ces ruptures amoureuses qui retournent le ventre, Mikella Nicol s’enfonce dans un trou noir de vidéos de fitness, afin de retrouver une emprise sur une vie qu’elle observait lui glisser entre les doigts.

Mais le programme d’entraînement quotidien auquel elle se soumet devant son ordinateur vire rapidement à quelque chose s’apparentant davantage à une sorte de châtiment auto-infligé. Une obsession-prison pour un corps qui ne peut exister qu’au prix de privations et de sacrifices, à laquelle elle tente de trouver une issue dans Mise en forme.

Bien que très différent de ses deux précédents livres sur le plan formel, le récit autobiographique creuse à nouveau, et avec une éblouissante sagacité, les thèmes qui ancraient ses romans Les filles bleues de l’été et Aphélie du côté du désespoir, ceux de la beauté et de la mort.

« C’est sûr que parfois, je m’écoute parler de la beauté et ça me fâche », confie l’autrice en riant doucement. « C’est comme si j’essayais de me convaincre que ce n’est pas possible de les atteindre, les standards. J’ai 31 ans et je dois me le répéter encore. »

Mikella Nicol l’écrit elle-même : elle a longtemps eu honte de dire qu’elle visite le gym régulièrement. « Je pense que c’est la honte de céder à une certaine part d’aliénation, explique-t-elle, surtout quand on est dans le milieu intellectuel, féministe, où on s’applique à défaire ces idées-là. »

Nelly Arcan, que Mikella Nicol cite à quelques occasions, s’est elle-même souvent fait mettre face à ce que l’on percevait, étrangement, comme une contradiction : comment une femme aussi instruite des oppressants rouages de l’apparence pouvait-elle s’y conformer avec autant d’opiniâtreté ? « J’ai moi-même de la difficulté à réconcilier cette idée-là, dit son héritière, parce que même si c’est une contradiction qui tombe sous le sens, elle est difficile à assumer. »

Disparaître pour apparaître

« La beauté est un territoire où l’on flirte avec la disparition pour apparaître », écrit l’autrice de Mise en forme, une des observations les plus troublantes de ce livre qui s’inscrit dans une même riche hybridité, entre auscultation de l’intime, analyse pop culturelle et déconstruction des injonctions que contient le langage, que Maquillée de Daphné B. ou Encore de Marie Darsigny.

Disparaître pour apparaître ? Parlez-en à n’importe quelle femme qui a perdu beaucoup de poids : elle n’aura jamais été autant complimentée de toute sa vie. Sherbrookoise d’origine, Mikella Nicol, née en 1992, se rappelle l’impact sur son imaginaire du meurtre de Julie Boisvenu, survenu en 2002.

On ne peut évidemment pas mettre sur un pied d’égalité le fait de vouloir perdre beaucoup de poids et d’être kidnappée, mais tout ça parle d’un monde qui est dangereux pour les femmes et dont on se soucie peu.

Mikella Nicol

« À partir du moment où tu poursuis activement un corps émacié », observe-t-elle en se remémorant notamment les jeunes mannequins studieusement rachitiques d’American Apparel, « tu t’imposes la maladie et tu te mets en danger ».

Fausses promesses

« Le discours du fitness, qui promet santé et accomplissement personnel, présente cet entraînement comme une préparation aux difficultés de la vie. Or il ne prépare à rien, puisqu’il nous maintient dans un état d’insatisfaction à propos de notre apparence », écrit Mikella Nicol, qui se désole qu’une forme de fitness où il ne serait pas du tout question de tonus fessier ou de gras à brûler demeure marginale.

Peu importe l’insistance avec laquelle une Khloé Kardashian proclame dans son (invraisemblable) émission Revenge Body qu’elle souhaite aider les femmes à se sentir bien dans leur tête et leur corps, c’est d’abord et avant tout dans l’espoir de susciter le désir que ses disciples suent sang et eau, pense l’écrivaine. Elle ne voit dans ce vocabulaire de la croissance personnelle qu’un écran de fumée.

À tellement vouloir préciser que le fitness est une forme de self-care, ou qu’il permet l’empowerment, les femmes qui produisent ces vidéos finissent toujours par trahir leurs véritables intentions.

Mikella Nicol

Un monde où « le plus grand pouvoir des femmes, c’est d’être désirable », comme le souligne Mikella Nicol, est en somme un monde où les femmes n’ont pas beaucoup de pouvoir, et où se détoxifier des injonctions qui les assaillent demeure leur propre responsabilité.

« On se fait dire qu’il faut s’occuper de nous, mais qui s’occupe vraiment des femmes, de ce qui leur fait violence ? », demande-t-elle. « On commence à peine à parler de féminicides, mais qui va protéger les femmes des images qui les aliènent ? On nous dit : “Ce n’est pas grave, votre apparence, l’important, c’est que vous ayez confiance en vous”, mais qui nous a appris à avoir confiance en nous ? »

Mise en forme

Mise en forme

Le Cheval d’août

160 pages