La présidente de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (l’UNEQ), Suzanne Aubry, s’est dite « émue, mais sereine » quelques heures après l’annonce de la démission en bloc de son conseil d’administration.

L’annonce survient deux jours après une assemblée générale houleuse durant laquelle les auteurs ont rejeté dans une proportion de 56 % la proposition de l’UNEQ de percevoir une cotisation syndicale de 2,5 % sur les revenus de ses membres, et de 5 % sur ceux des auteurs non membres.

« La décision de donner notre démission collective a été mûrement réfléchie », explique Suzanne Aubry, qui présidait l’UNEQ depuis 2017. « C’est une décision directement liée au vote, précise-t-elle. On a toujours défendu le fait qu’il fallait des cotisations syndicales pour financer les négociations collectives. »

Ç’a été rejeté dans une assemblée démocratique, donc on considérait qu’on n’avait plus le mandat de continuer notre travail.

Suzanne Aubry, présidente de l’UNEQ

Depuis l’adoption de la Loi sur le statut de l’artiste, l’UNEQ a le mandat de représenter les auteurs jusqu’en 2025 et de négocier des ententes collectives avec les éditeurs – notamment avec l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) et le groupe Sogides, de Québecor. L’UNEQ espère ainsi améliorer les conditions de travail et la rémunération des auteurs.

Mission ardue

Suzanne Aubry reconnaît que la syndicalisation du milieu littéraire est « tout nouveau » et que l’obtention de cotisations syndicales n’était pas une mission facile à réaliser.

« On est le seul syndicat d’écrivains au monde qui a une loi sur le statut de l’artiste et qui a la possibilité de financer les négociations avec ces cotisations-là. C’est pour ça qu’on a publié [le 21 février] un guide de 38 pages pour informer nos membres de ces enjeux. Mais je suis une éternelle optimiste, je crois que l’idée va faire son chemin et que d’autres auteurs vont se lever et prendre le flambeau. »

Il faut préciser que c’est la deuxième fois que l’UNEQ se tournait vers ses membres sur la question des cotisations syndicales. Au mois de juin dernier, lors d’une assemblée générale au cours de laquelle à peine 46 personnes avaient pris part (et voté), la décision d’imposer ces cotisations aux membres et aux non-membres avait été prise, mais elle avait soulevé l’ire de la majorité des membres, qui disaient ne pas être au courant de la démarche de l’UNEQ.

Suzanne Aubry avait reconnu l’erreur de l’UNEQ et s’était lancée par la suite dans une campagne de communication auprès de ses membres.

Qu’est-ce qui explique, selon elle, le refus de la proposition-phare de l’UNEQ ? « Il y avait quand même 40 % des gens qui étaient en faveur, nous dit Mme Aubry, mais parmi ceux qui étaient contre, il y avait des auteurs qui s’opposaient au principe même de la syndicalisation. Il y en a d’autres qui ont évoqué le peu de revenus qu’ils gagnent et d’autres encore qui ne comprenaient pas la nécessité des cotisations. En fait, je dois le dire franchement, il y en a beaucoup qui n’avaient pas lu nos documents où on expliquait tout ça. »

Réactions

Sur les réseaux sociaux, les réactions à la démission en bloc du conseil d’administration de l’UNEQ allaient dans tous les sens. Dans une déclaration envoyée à La Presse, l’auteure India Desjardins a dit déplorer « la violence » qu’a vécue l’équipe de l’UNEQ dans les derniers mois.

« Je trouve malheureux que certains aient oublié les humains dans tout ça. Dans les dernières années, cette équipe a travaillé fort pour non seulement changer une loi injuste, mais aussi créer de nouveaux programmes pour la littérature comme la Nuit de la lecture ou de nouvelles bourses d’écriture. »

Bien que je n’aie pas toujours été d’accord sur tous les points avec eux, je trouve que les mauvaises intentions qu’on leur prête sont démesurées.

India Desjardins

Sur sa page Facebook, Marie-Ève Sévigny a écrit : « Si le gouvernement Legault avait attaché à la Loi sur le statut de l’artiste des enveloppes permettant à l’UNEQ, aux éditeurs, aux organismes, etc. de répondre aux exigences pécuniaires de cette loi, nous n’en serions pas là. »

Qu’adviendra-t-il maintenant des négociations avec les éditeurs de l’ANEL et du groupe Sogides ?

« Les négociations sont amorcées, mais avec l’annonce de notre démission, nous ne pouvons plus être les personnes désignées pour poursuivre ces négociations-là, répond Suzanne Aubry. Elles vont reprendre avec de nouveaux élus, qui vont devoir consulter les membres et trouver d’autres façons de financer ces négociations, parce qu’elles doivent se poursuivre. Peut-être qu’ils vont proposer de moduler les pourcentages, mais ils devront trouver des solutions. »

Après tout ça, est-ce que la présidente sortante de l’UNEQ croit toujours à l’importance pour les auteurs d’être inclus dans la Loi sur le statut de l’artiste ? « Plus que jamais, répond Suzanne Aubry. C’est une loi qui nous permet de négocier. Qui oblige les éditeurs à s’asseoir avec nous. La loi donne aussi la possibilité aux écrivains victimes d’abus de se défendre au Tribunal administratif du travail, ce qui n’était pas le cas avant. Donc au lieu d’aller en cour, les auteurs peuvent avoir recours au TAT, et ça, c’est un acquis incroyable. »

Vente de la Maison des écrivains

Par ailleurs, durant l’assemblée générale de mercredi dernier, les 550 membres réunis sur Zoom ont voté par une courte majorité de 14 voix en faveur de la vente de la Maison des écrivains, un autre sujet controversé. Un moratoire de 18 mois a été voté pour permettre à un acheteur de maintenir la vocation littéraire du bâtiment patrimonial situé au carré Saint-Louis.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La Maison des écrivains

C’était déchirant pour nous aussi, mais c’était vraiment pour mettre fin à une hémorragie. Ce n’était plus le lieu de rencontre que ça avait déjà été.

Suzanne Aubry

La démission des sept administrateurs prendra effet à la prochaine assemblée générale annuelle fixée, au mercredi 31 mai.

Avant l’assemblée générale du 29 mars, le C.A. a mis fin au contrat du directeur général Laurent Dubois, nous a informé Suzanne Aubry. « Au cours des derniers mois, il y a eu beaucoup de propos dénigrants et violents à son endroit, on a convenu ensemble qu’il valait mieux mettre fin à son contrat. » L’UNEQ était-elle satisfaite de son travail ? « Absolument, répond Mme Aubry, c’était très déchirant pour nous. Laurent Dubois est le meilleur gestionnaire que j’ai rencontré dans ma vie ! »

Les sept postes d’administratrice et d’administrateur ainsi que le poste de directeur général seront donc à pourvoir dans les prochains mois. L’UNEQ procédera à un appel de candidatures. D’ici là, le conseil d’administration actuel et son directeur général demeureront en place afin de gérer les affaires courantes.