Au moment où le droit à l’avortement est de plus en plus remis en question partout en Amérique nous arrive le recueil bouleversant de Charlotte Francœur. Ses poèmes se meuvent sur la ligne mince séparant le cordon ombilical du nœud coulant dans un « ventre devenu vide ».

Les crustacés du titre sont des embryons qu’on empêchera de voir le jour. Le livre porte toutes les douleurs de ce choix qui n’en est pas toujours un. Après Hier est une violence, la poète continue de s’affirmer et de dénoncer, au contraire des femmes de sa famille qui se taisent.

Une grande tristesse parcourt les poèmes. La narratrice rêve parfois de ne plus se réveiller. Hantée par le déchirement qui vient avec la liberté de choisir, elle confiera : « le deuil emplit mon corps ». Elle vit la honte, la colère, la solitude. Comment pourrait-il en être autrement ?

En même temps, cette poésie narrative échappe à l’affaissement en continuant de parcourir un sentier fragile. Au début, il y a ce ton presque ludique qui décrit les « disparues fantasmées ». Puis, une lumière s’infiltre çà et là, soutenue par une force insoupçonnée. Dire « adieu », c’est passer à autre chose, avancer. Un autre corps aimant existe, le sien.

« je voudrais que le fleuve soit femme/j’aimerais dire/je fuis/vers elle »

Seule la poésie peut nous transporter aussi profondément dans l’intimité féminine sans devenir impudique, sans faire de nous des voyeurs embarrassés. Ce livre à cœur et à corps ouverts vibre et nous remue. Il se donne généreusement en partage. Impossible de ne pas l’accueillir avec ouverture et reconnaissance.

Adieu les crevettes

Adieu les crevettes

Noroît

96 pages

8/10