Il ne faudrait surtout pas se méprendre sur le ton de ce roman qui nous a captivée d’emblée, et ce, jusqu’à la dernière de ses 600 pages et quelques. Derrière une prémisse faussement sombre, on a découvert un humour décapant et une ironie mordante qui nous a fait rire à de nombreuses reprises.

Toni est un quinquagénaire espagnol, professeur de philosophie au secondaire, qui « traîne les pieds sur le sol de la vie » à la manière d’une limace, de son propre aveu. Dans ce qu’il présente comme un ultime journal intime, il admet que sa déception a eu raison de son désir de vivre et qu’il a donc choisi la date à laquelle il devra rendre « les atomes empruntés à la nature » ; il s’accorde un an pour mettre ses affaires en ordre et comprendre pourquoi il souhaite renoncer à l’existence.

Au fil des mois qui passent, il se défait peu à peu de ses biens matériels, à commencer par les livres de son imposante bibliothèque ; il discute politique et philosophie avec son seul et meilleur ami dans le bar où ils ont l’habitude de se retrouver pour noyer leurs déceptions quotidiennes. Et tous les soirs, il s’assoit pour tenir ce journal où il s’attèle à dépoussiérer ses souvenirs dans le désordre – son enfance dans une Espagne franquiste, entre deux parents qui se sont voué une haine silencieuse, sa propre haine envers son frère, cette « guerre civile à deux » qu’a été son mariage, les années de solitude qui ont suivi son divorce ou encore ses émotions contradictoires envers son fils à qui il associe le mot désastre.

Avec cynisme, il porte un regard désopilant sur la manière dont il croit avoir raté sa vie. Dans ces feuillets où il s’autorise à faire preuve d’une sincérité féroce, il confie ses pensées les plus viles et les plus honteuses, ses secrets inavouables et tout ce qu’il n’a jamais pu exprimer jusqu’à présent. On est parfois à la limite du politiquement incorrect... Et tour à tour, on oscille entre l’instinct de mépriser cet homme qu’on pourrait traiter pour le moins d’égoïste et celui de le plaindre, tout en compatissant à ses tourments. Mais en fin de compte, ce sera plutôt ce dernier sentiment qui l’emportera.

Oiseaux de passage n’est pas un roman qu’on lit d’une traite : c’est une compagnie à laquelle on s’attache malgré nous et qu’on prend plaisir à traîner pendant des semaines. Et chaque fois qu’on y replonge, on retrouve cette étrange et délicieuse familiarité que Fernando Aramburu réussit à installer à notre insu.

Oiseaux de passage

Oiseaux de passage

Actes Sud

624 pages

8,5/10