Alors, nous y voilà, c’est la fin des haricots. En apposant un point final à son nouveau roman Terminus Malaussène, Daniel Pennac clôt définitivement par ce même geste la saga familiale, policière et burlesque qu’il alimente depuis plus de 35 ans. Pourquoi ? L’écrivain nous a répondu avec, comme de coutume, une étincelle de malice dans les yeux, la même qui anime sa plume.

« Monsieur Malaussène est demandé au bureau des Réclamations. »

Cet incipit a beau remonter à 1985, Daniel Pennac confie se revoir l’écrire comme si c’était hier. La ligne de dialogue coiffait Au bonheur des ogres, toute première pierre de l’édifice Malaussène. Dévorée par des milliers de lecteurs, la fresque met en scène les affres d’une famille fourmillante haute en couleur, constamment happée par aventures et mésaventures sous forme d’enquêtes, pastichant le genre policier d’un trait de feutre amusant. Dans les premiers opus, on y découvrait notamment Benjamin Malaussène, exerçant l’étrange métier de « bouc émissaire », sa tribu qui n’eut de cesse de s’élargir au fil des titres, ou encore la Reine Zabo, une éditrice extravagante.

Avec Terminus Malaussène, publié au Québec le 6 février, l’auteur livre un ultime volet, brossant une histoire rocambolesque d’enlèvement factice se muant en véritable rapt, jetant dans la mêlée les cousins et cousines Malaussène, l’inspecteur Titus et ses confrères, ainsi que Pépère, truand implacable aux faux airs de papy aimable. Une grande finale fidèle au style Pennac, où répliques improbables et revirements imprévus s’enchaînent… et s’achèvent à jamais. Pourquoi arrêter ? Cette décision lui revient-elle ou émane-t-elle de son éditeur ? Poser ces questions à l’écrivain, c’est un peu comme les adresser à l’un de ses cocasses personnages ; au moment de répondre, par visioconférence interposée, il se penche vers le micro de l’ordinateur pour confier, tel un secret : « Cher monsieur, mon éditeur ne prend jamais de décision. Je fais ce que je veux, nom d’un chien ! », chuchote-t-il en riant, assez fort pour que l’attachée de presse de la maison d’édition, dans la pièce voisine, entende ses propos.

D’un ton plus sérieux, il explique vouloir tourner la page et explorer d’autres voies d’écriture, lui qui concocte déjà son prochain bouquin, qui sondera le rapport entre silence et rire.

Justement, loin de céder à la tristesse en parachevant la saga Malaussène, il confesse en avoir rédigé la conclusion (« C’est à cet instant que mes idées se sont brouillées ») avec un « rire discret », semblant laisser un pied dans la porte.

Tribulations d’une tribu

Avertissement aux lecteurs : Terminus Malaussène vient compléter l’intrigue développée dans Le cas Malaussène, précédent opus dont la lecture préalable est fortement recommandée. Et encore faut-il bien connaître l’éventail de personnages qui ont enrichi la série depuis sa fondation – un index biographique et un arbre généalogique aident toutefois à démêler le tout. Pennac ne craignait-il pas de déboussoler ses lecteurs, même ceux de la première heure ?

« En littérature, comme dans la vie, quand on va quelque part, il ne faut pas résister. Si vous passez la soirée dans un salon où se trouvent 150 personnes et que vous ne connaissez pas grand monde, au bout d’une demi-heure, ça y est, vous connaissez les gens. C’est pareil pour la littérature », souligne l’auteur, brandissant l’exemple de la littérature russe, car il s’est justement plongé dernièrement dans la lecture d’Anna Karénine. « Au bout de 100 pages, je connaissais tout le monde. Je me suis laissé aller par la lecture de Tolstoï. »

Il avoue par ailleurs entretenir des liens bien particuliers avec ses personnages, dont plusieurs ont été baptisés en référence à des proches : Titus est le véritable nom d’un ami, la Reine Zabo évoque Isabelle Jan, une éditrice aujourd’hui disparue, Clara renvoie à l’une de ses anciennes élèves, tout comme on y retrouve sa femme et sa fille… « Par bonheur, la fin des Malaussène n’entraîne pas leur fin à eux ! », glisse-t-il.

Un fourmillement que l’on retrouve côté scénario, où chaque rebondissement en chasse un autre, entre faux policiers, véritables enquêteurs, écrivain torturé et malfaiteurs perfides, donnant du fil à retordre aux jeunes Malaussène.

Cependant, s’il dressait des plans pour ses premiers romans, il s’est de plus en plus laissé guider par les aspirations de sa plume à mesure que les tomes paraissaient. « Pour les deux derniers, j’ai vraiment préféré me laisser porter par l’écriture, comme si j’étais mon propre lecteur », indique-t-il.

PHOTO JOEL SAGET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Daniel Pennac

Amusante noirceur

Au cours de cette fresque littéraire se retrouve toujours un côté plus obscur, décuplant l’effet comique par contraste (Au bonheur des ogres s’ouvre sur un attentat). Ce trait semble particulièrement saillant dans Terminus Malaussène, inoculant au lecteur davantage de nuances sombres qu’à l’accoutumée. C’est qu’ils ne plaisantent pas, ces kidnappeurs qui flinguent à tout-va et tranchent des oreilles ! Un reflet de notre temps, explique Pennac. « C’est quand même une époque où, dans les 10 dernières années, on a vu des assassins notoires se faire élire démocratiquement à la tête de quantité de gouvernements : Poutine, Erdogan, etc. Si vous ajoutez à cela la question climatique et la résurgence de pandémies mondiales, le total de l’addition n’est pas très drôle. Alors ça se trouve peut-être au fond de ce Malaussène », éclaire-t-il, rappelant que les rapports entre les personnages continuent d’alimenter le côté amusant de ses récits, comme Pépère, parrain au sang particulièrement froid. « Dans le genre noir, il est plutôt rigolo pour moi », sourit son créateur.

Ce dernier joue aussi de malice avec nos questions ; « Homère, peut-être ? », répond-il sans grand sérieux quand on lui demande à quel écrivain confier, hypothétiquement, les rênes de sa saga. En fait, sa réponse sous-entendue est la même que celle d’Ulysse au Cyclope : « Personne ». Son univers lui étant trop chevillé à l’âme. « Je ne travaille pas pour la postérité après ma mort, mais pour le terreau, c’est-à-dire l’ensemble des livres écrits durant une époque, dont la somme fait pousser la littérature, naître d’autres écrivains et multiplie le nombre de lecteurs. » À n’en pas douter, Pennac a le chic pour conclure avec panache.

En librairie le 15 février

Terminus Malaussène

Terminus Malaussène

Gallimard

430 pages