Depuis la publication de son essai Sorcières, la journaliste Mona Chollet est devenue une figure incontournable du féminisme français. Surprise : elle nous revient avec un ouvrage complètement différent consacré à sa collection d’images. Nous l’avons rencontrée à Paris.

(Paris) Mona Chollet nous donne rendez-vous au Café de l’Industrie, dans le 11e arrondissement où elle habite. Celle qui jusqu’à tout récemment était chef de pupitre au Monde diplomatique est devenue une vraie star du féminisme français. Ses essais Sorcières – La puissance invaincue des femmes et Réinventer l’amour – Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles l’ont élevée au rang d’icône féministe, particulièrement auprès des jeunes femmes qui ont fait de Sorcières leur cri de ralliement.

Au moment de notre rencontre, on présentait d’ailleurs une lecture musicale d’extraits de Sorcières au théâtre de l’Atelier, dans Montmartre. Mona Chollet n’était pas impliquée dans le projet, qui est l’initiative d’un collectif de femmes, mais elle a donné sa permission. Le résultat : un vrai happening, comme on dit à Paris. Des représentations à guichets fermés et des ovations debout chaque soir.

Elle en semble presque étonnée. « J’ai l’impression qu’il y a une sorte de malentendu, dit-elle, modeste. Quand j’écris, je pars vraiment de mon vécu et des questions que je me pose de manière très personnelle. Ça produit des essais féministes parce que je suis une femme, et que je me heurte à des choses dans ma vie. Mon approche n’est pas du tout systématique, et je peux avoir des grosses défaillances sur certains sujets. Je ne connais pas tout du féminisme, il y a des aspects qui m’intéressent plus que d’autres. Je ne suis pas du tout une théoricienne, je bricole de la théorie en chemin. »

Des images pour rêver

Le nouveau livre de Mona Chollet rompt avec ses deux précédents essais. D’images et d’eau fraîche s’inscrit plutôt dans la lignée de Chez soi – une odyssée de l’espace domestique, publié en 2015. Il s’agit d’un ouvrage introspectif, richement illustré, dans lequel l’auteure partage une partie de sa collection d’images numériques et réfléchit à leur pouvoir en invoquant des penseurs comme Barthes, Platon ou Sontag.

PHOTO FOURNIE PAR FLAMMARION, COLLECTION PARTICULIÈRE

Kobayashi Kiyochika, River of Fireflies, années 1930, Woodblock

Cette collection est devenue un véritable rituel : chaque matin, à l’heure du café, après avoir fait le tour des sites d’information, Mona Chollet visite ses sites préférés. Quand elle aime une image, elle l’épingle dans son compte Pinterest. Elle en a accumulé des milliers, qu’elle classe par thèmes : des images japonaises, des images de tarot, des portraits de femmes, des photos noir et blanc, des images de villes la nuit, d’escaliers…

« C’est une façon de décrocher du rythme de l’actualité, dit-elle. Ça m’apporte un apaisement. »

Mona Chollet dit préférer Pinterest au réseau social Instagram, un site d’images lui aussi, mais qu’elle associe davantage à la performance. Tout le contraire de ce qu’elle recherche. « Je suis très réticente à la mise en scène de ma propre vie, précise-t-elle. Je trouve qu’il y a un côté facilement agressif et concurrentiel dans Instagram. Je n’ai pas du tout envie de me retrouver à essayer de donner une image idéale de ma vie. »

PHOTO THE METROPOLITAIN MUSEUM OF ART, FLETCHER FUND, 1929, FOURNIE PAR FLAMMARION

Woman Admiring Plum Blossoms at Night, de Suzuki Harunobu

Pinterest, c’est l’équivalent d’un scrapbook numérique que Mona Chollet alimente d’abord pour son plaisir personnel, puis par désir de partager. « Pour moi, cette collection, c’est comme les cailloux du Petit Poucet, dit-elle. Je peux décider de regarder toutes les images par ordre chronologique et ça me rappelle des périodes de ma vie. C’est comme un journal intime, un peu crypté. Ça dit des choses que je suis seule à comprendre. »

Une autre manière de réfléchir

Mona Chollet assure que son livre n’est pas un projet de pandémie — « j’ai commencé cette collection il y a une dizaine d’années et mon éditrice me poussait à écrire ce livre depuis quelque temps déjà » –, mais il faut reconnaître que D’image et d’eau fraîche correspond absolument à l’air du temps, à ce besoin que nous ressentons de nous entourer de choses apaisantes après plusieurs années éprouvantes.

PHOTO FOURNIE PAR FLAMMARION, COLLECTION PARTICULIÈRE

La paresse, par Félix Vallotton

La principale intéressée affirme pour sa part que cette immersion dans les images est une source de vitalité. « Le monde est tellement dur, observe-t-elle. On a tellement l’impression de se cogner à quelque chose de violent de tous les côtés. Il y a un pessimisme énorme et au bout d’un moment, ça devient compliqué de savoir simplement comment on fait pour tenir le coup et garder une forme de désir vital. Les images m’apportent ça. »

Sa collection d’images, ajoute-t-elle, l’aide à réfléchir autrement, à faire des allers-retours entre l’intime, le social et le politique. Les images, comme une espèce de méditation, alimentent son travail d’écriture et sa créativité. « Ça dévie complètement ma réflexion, elle prend des chemins qu’elle ne prendrait pas si j’étais seulement dans la réflexion intellectuelle », affirme Mona Chollet.

Ce livre aura peut-être le même effet sur vous. Chose certaine, il risque de vous donner furieusement envie de collectionner les images, vous aussi.

D’images et d’eau fraîche

D’images et d’eau fraîche

Flammarion

192 pages