« C’est littéralement un coup d’État ! Ça ressemble à la Révolution russe. C’est la même méthode ! » Marc Mayer, ancien directeur général du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), ne mâche pas ses mots quand vient le temps de décrire la crise qui frappe le plus grand musée au pays. Fraîchement rentré d’un voyage en Europe, il a accepté de me parler lundi matin.

« On se retrouve avec quelqu’un qui n’a aucune formation en art et qui tente de réinventer l’institution la plus importante pour l’art au Canada, reprend-il. Comme Pierre Lassonde l’a dit : si t’as pas de licence pour piloter un Boeing 777, t’as pas d’affaire là. »

Celui qui a dirigé le MBAC de 2009 à 2019 fait référence à Angela Cassie, qui assure la direction générale du musée de façon intérimaire depuis juillet dernier. Malgré ce statut temporaire, elle n’hésite pas à faire des gestes importants (comme le congédiement de quatre cadres – qui s’ajoutent à plusieurs autres – qui détenaient des postes clés et de riches expertises) afin de mettre en place un vaste plan de transformation visant à favoriser l’inclusion et la diversité au sein du musée. Au cœur de ce plan controversé se trouve la section Voies autochtones et décolonisation.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Mayer, ancien directeur général du Musée des beaux-arts du Canada

« Elle a complètement effacé mon passage, dit Marc Mayer, visiblement ulcéré par cette affaire. Mais durant la période où j’ai été là, on a dépensé beaucoup d’argent afin de diversifier la collection : des millions de dollars sur l’art des femmes, des millions sur des artistes provenant des minorités culturelles, on a donné plus de place à l’art autochtone et, selon Angela Cassie, il ne s’est rien passé. C’est un mensonge ! On a complètement changé la relation avec les artistes autochtones et l’art autochtone. C’est nous qui avons fait ça, pas elle. C’est pour cela que je suis furieux ! »

Je l’ai écrit et je le redis : le MBAC est un exemple de diversité depuis longtemps. On est en droit de se demander à quoi rime la révolution que l’on tente actuellement de mener.

Si Marc Mayer a souhaité livrer sa pensée avec beaucoup d’aplomb, c’est qu’il n’en revenait pas d’entendre les propos qu’Angela Cassie a tenus vendredi dernier au cours d’une ronde d’entrevues destinées à éteindre l’incendie qui a cours depuis quelques jours au MBAC.

Angela Cassie a fait grand usage de la langue de bois avec les journalistes de La Presse, du Devoir, d’ICI Première et de plusieurs autres médias canadiens. Dans ma chronique « Épais brouillard à Ottawa », je disais que la direction du musée devait expliquer clairement et rapidement ce qu’elle est en train de faire. L’exercice de vendredi fut un échec lamentable. La directrice générale intérimaire n’a pas su dire combien d’employés ont été congédiés à ce jour. Pas fort !

Elle répétait les mêmes choses. Elle ne répondait pas aux questions et ne faisait que dire le message qu’elle voulait faire passer. Voulait-elle protéger le gouvernement ?

Marc Mayer

Angela Cassie a profité de ces entrevues pour préciser que le plan de décolonisation du musée, mis en place par sa prédécesseure, Sasha Suda, n’aurait aucun impact sur les choix artistiques du musée et qu’il est souhaité par beaucoup de citoyens. « C’est très facile de dire ça, renchérit Marc Mayer. C’est comme affirmer que ça fait des années que les gens disent qu’il n’y a pas assez de femmes ou de diversité dans les expositions du MBAC. Moi, quand j’étais directeur, les commentaires que je recevais le plus souvent provenaient d’arachnophobes qui voulaient qu’on enlève l’araignée de Louise Bourgeois devant le musée. »

Marc Mayer ne digère pas le congédiement de Stephen Gritt, directeur de la conservation et de la recherche technique. Ce dernier, grâce à l’aide d’un mécène américain, a permis à quatre employés de recevoir une formation en art autochtone. « Cela s’inscrit parfaitement dans leur plan stratégique, dit Marc Mayer. Mais après qu’il a fait cela, on l’a licencié. C’est incroyable ! »

La crainte de plusieurs observateurs est que le MBAC, l’un des rares musées canadiens subventionnés à 75 % par des fonds publics, perde le soutien d’importants donateurs et de fondations privées. « C’est déjà commencé », dit Marc Mayer.

En entrevue avec Alain Gravel, de l’émission Les faits d’abord, le collectionneur d’art et mécène Pierre Lassonde a confirmé ces dires. Propriétaire de la plus importante collection d’œuvres d’Helen McNicoll (grande peintre canadienne d’inspiration impressionniste), ce dernier a affirmé que ça ne serait sûrement pas au MBAC qu’il offrirait ces œuvres. Il a aussi ajouté que Michael Audain, autre grand mécène canadien, a cessé de verser des dons à une chaire du MBAC.

Au cours de cette même entrevue, Pierre Lassonde a évoqué une chose que j’ai entendue de plusieurs sources au cours des dernières semaines. Lorsque le projet d’une rétrospective consacrée à Jean Paul Riopelle a été proposé à la direction du MBAC, la direction a clairement exprimé son désintérêt pour l’artiste québécois dont on célébrera en grande pompe le 100e anniversaire de naissance. « Sasha Suda a tout fait pour empêcher cette exposition », a dit Pierre Lassonde au micro d’Alain Gravel.

Au MBAC, on ne voulait pas de cet « old white man artist », m’ont confié certaines personnes sous le couvert de l’anonymat.

Marc Mayer rentre d’un séjour en France, où il a eu l’occasion de voir plusieurs expositions. « Je voulais utiliser les réseaux sociaux pour parler d’art et partager mes impressions avec ceux qui me suivent. Mais non, il y a le feu à la grange et il faut sauver les meubles. »

Marc Mayer a raison. Ce qui se passe au MBAC est grave. Une intervention concrète (et audible) de Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien, est urgente. « Il faut mettre des professionnels chevronnés à la barre du Musée des beaux-arts du Canada et il faut le faire tout de suite, ça presse, implore Marc Mayer. Des gens sont en train de détruire une institution majeure au Canada. Je rentre de France, j’ai rencontré beaucoup de monde et on nous regarde en ce moment. On ne peut pas commettre une telle bêtise. »

P. -S. J’ai tenté d’obtenir une réaction du MBAC, mais sans succès.