L’annonce de la mise sous la protection de ses créanciers du Groupe Juste pour rire – ainsi que l’annulation de la prochaine édition du festival – a provoqué des réactions diverses dans le monde de la politique et du divertissement.

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Plusieurs intervenants du milieu évènementiel interrogés par La Presse ont avoué ne pas être surpris de la nouvelle annoncée mardi matin. Martin Roy, du Regroupement des évènements majeurs internationaux, est de ceux-là. « Ça fait des mois qu’on dit aux différents [ordres] de gouvernement que ça ne va pas bien pour les festivals et les évènements. Et l’épicentre reste les festivals qui offrent une partie ou l’ensemble de leur programmation gratuitement, comme Juste pour rire, le Jazz ou les Francos. La vague inflationniste est bien présente, mais les revenus, les subventions et les commandites ne suivent pas », plaide celui qui représente les intérêts des grands évènements culturels, sportifs et de divertissement au Québec.

Même constat du côté du Regroupement des festivals régionaux artistiques indépendants (REFRAIN) : on reçoit la nouvelle non pas avec étonnement, mais avec plusieurs interrogations. « On entendait déjà des rumeurs de corridor, il y avait beaucoup de signaux », commente Patrick Kearney, président de l’association.

Par contre, il faut se rappeler que c’est tout le Groupe Juste pour rire qui [se protège de ses créanciers]. On parle beaucoup du festival, mais je ne suis pas convaincu que les 50 millions [de dettes] relèvent beaucoup du festival.

Patrick Kearney, président du Regroupement des festivals régionaux artistiques indépendants

Ainsi, pour Patrick Kearney, qui défend les intérêts de plus petits festivals, il est nécessaire de se demander lesquelles des nombreuses autres activités du Groupe Juste pour rire ont creusé les dettes de l’entreprise. « Si on demande de l’aide pour les gros festivals [en réponse à cette situation], il faut que ce soit justifié », plaide-t-il.

Pour la suite, Patrick Kearney n’a pas trop d’inquiétudes pour le milieu de l’humour, même s’il est peiné pour les artistes et artisans qui pâtissent de cette situation. « La nature a horreur du vide, dit-il. Il va y avoir un rééquilibrage. Avant, les humoristes dépendaient beaucoup de Juste pour rire. Maintenant, ils existent sans ça. Il n’y avait déjà plus de galas, l’évènement n’est plus aussi incontournable. L’écosystème a changé. »

Une entreprise qui a perdu son cœur, selon Luce Rozon

Jointe par La Presse, Luce Rozon, sœur du fondateur de Juste pour rire, Gilbert Rozon, considère qu’il s’agit d’une grande perte pour le Québec. « En apprenant la nouvelle mardi matin dans La Presse, j’ai eu un choc énorme. Pas seulement à titre personnel, comme Québécoise aussi. Après la vente du Cirque du Soleil, c’est un autre fleuron québécois qu’on laisse aller », dit celle qui a travaillé 30 ans pour le festival et les productions en salle de Juste pour rire.

« Je ne suis pas cynique. Je suis triste, car je ne m’explique pas ce qui s’est passé pour en arriver à la décision de cesser toutes les activités », poursuit celle qui a lancé en 2018, avec sa sœur Lucie Rozon, Les Agents Doubles (Slava’s Snowshow, La nuit de la déprime…).

Luce Rozon ne veut pas blâmer les partenaires actuels à la tête de l’entreprise depuis 2018 – le promoteur evenko, Bell Média et Creative Artists Agency. Toutefois, elle estime qu’on a tué l’âme de Juste pour rire. « Tous les organes de l’entreprise fonctionnaient, mais il n’y avait plus de cœur », illustre-t-elle, en évoquant son frère, ex-patron de Juste pour rire qui fait toujours l’objet de poursuites au civil.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Luce Rozon en 2016

À l’époque, il y avait un pilote, un maître à bord. Gilbert [Rozon] inspirait toute une équipe aguerrie et insufflait une audace et une créativité au Groupe Juste pour rire. Il a imaginé un festival familial et fédérateur. On était une centaine et on travaillait tous ensemble dans la même direction.

Luce Rozon

Interrogée pour savoir si, selon elle, les allégations et les témoignages de victimes contre son frère ont entaché la marque à jamais, Mme Rozon se fait plus avare de commentaires : « Gilbert a été disculpé de toutes les accusations [au criminel]. Je le soutiens et je le soutiendrai toujours à 100 %. »

« On n’avait pas besoin de ça »

Du côté de France Film, propriétaire des salles du Théâtre St-Denis et de l’Espace St-Denis, la nouvelle a été accueillie avec consternation. « C’est la cerise sur le sundae ! », lance Claude Chabot, vice-président aux affaires et aux relations publiques.

L’industrie est déjà fragile. Juste les coûts de location d’équipements techniques ont doublé en cinq ans. On n’avait pas besoin de ça.

Claude Chabot, vice-président aux affaires et aux relations publiques de France Film

M. Chabot rappelle que Juste pour rire a été un acteur majeur dans l’industrie et que son départ laisserait un gros vide : « Mais je suis un éternel optimiste. Je suis sûr que le petit bonhomme vert va se trouver de nouveaux parents. » Il dit aussi avoir bon espoir que d’autres producteurs pourront sauver la comédie musicale Waitress, qui est censée faire partie de sa programmation.

Avec la collaboration de Luc Boulanger, Jean Siag, Marissa Groguhé, Mylène Crête et Charles Lecavalier, La Presse

Des réactions sur la scène politique

Le festival Juste pour rire, c’est un riche héritage, un emblème de notre milieu culturel qui a fait rayonner le Québec à l’international. Mes pensées sont d’abord et avant tout avec les employés mis à pied et les artistes touchés par cette nouvelle du Groupe JPR. […] Je suis conscient de la situation difficile dans laquelle nos festivals québécois sont présentement. Ma collègue Caroline Proulx [ministre du Tourisme] et moi suivons la situation de près.

Le ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mathieu Lacombe, sur les réseaux sociaux

Le Festival Juste pour rire nous manquera cet été. C’est un rendez-vous phare de la scène culturelle montréalaise et dans la programmation estivale du Quartier des spectacles. Espérons que les activités de restructuration du groupe lui permettront de faire un retour. L’humour fait partie intégrante de notre culture et nous allons continuer de le soutenir. J’ai demandé aux équipes de la Ville de Montréal de prendre contact avec l’organisation pour évaluer les suites envisagées.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, sur X

Nous reconnaissons la difficulté de la situation pour le festival. En tant que gouvernement, nous sommes déterminés à soutenir Juste pour rire en contribuant par le biais du Fonds du Canada pour la présentation des arts, qui vise à soutenir les organismes organisant des festivals, entre autres. Nous resterons vigilants et travaillerons en étroite collaboration avec eux pour qu’ils puissent continuer à bénéficier des divers programmes que nous proposons.

Le bureau de la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, dans une déclaration envoyée à La Presse