À la veille du 25Gala Les Olivier, La Presse a réuni trois de ses humoristes les plus nommés – Suzie Bouchard, Arnaud Soly et Simon Gouache – afin de réfléchir aux transformations d’un milieu qui, malgré la secousse provoquée par l’annonce des déboires financiers de Juste pour rire et la fin de son festival, n’a jamais connu une telle vitalité.

Quel impact le festival Juste pour rire pouvait-il avoir sur une carrière ?

Simon Gouache : Ça fait 15 ans que je suis dans le milieu et j’ai vécu l’époque où si tu ne faisais pas de gala, c’était une année perdue. Toute ton année était organisée autour de cet objectif-là : t’envoyais ton texte en décembre, les auditions commençaient en janvier et si tu n’étais pas choisi, tu repartais à zéro. Un seul numéro dans un gala pouvait lancer ta carrière. Faire un gala, c’était avoir une étampe dans ton cahier, ça signifiait que t’étais passé à une autre étape et soudainement, partout ailleurs, t’étais mieux payé. C’est là que les vedettes se créaient.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Simon Gouache

Arnaud Soly : Le pitch qu’on nous faisait dans les dernières années, pour les galas, c’était : « On va te donner 2000 $ pour brûler un numéro et on ne te dira pas quand on va le sortir sur Facebook ou à la télé et ça se peut qu’on le charcute au montage. » On était de plus en plus nombreux à penser que c’était mieux de se filmer soi-même, de mettre ça sur YouTube et de garder le contrôle de nos trucs.

Suzie Bouchard : J’ai commencé il y a cinq ans et je ne m’étais jamais tellement reconnue dans le format des galas. C’est quand l’humour s’est diversifié que je me suis vue en faire. La faillite de Juste pour rire, c’est un choc parce que j’étais produite par Juste pour rire, mais la fin de Zoofest, c’est mon grand deuil, c’est ce à quoi j’ai pensé en premier, parce que c’était vraiment un beau laboratoire.

SG : Quand le buzz des galas s’est estompé, le festival aurait dû se revirer de bord un peu plus rapidement [le festival a présenté son Ultime gala l’été dernier]. J’en ai animé un en 2021 et c’était difficile de convaincre les humoristes d’y participer. Patrick Rozon [le patron du volet francophone] faisait un travail extraordinaire, mais je pense que Juste pour rire a été trop lent à se rendre compte que les humoristes n’avaient plus besoin du festival pour donner un élan à leur carrière.

La classe moyenne de l’humour

Mais quel rôle restait-il à occuper pour un festival comme Juste pour rire ? À une autre époque, le Vieux Clocher de Magog était à peu près le seul endroit à présenter de l’humour, l’été, à l’extérieur de Montréal, alors que maintenant, de l’humour, il y en a partout au Québec, 365 jours sur 365.

AS : Il y a assurément une décentralisation qui s’est produite. Plusieurs villes ont leurs petits festivals, leurs soirées d’humour, leurs comedy clubs, leurs podcasts. Plein d’artistes s’autoproduisent. Je pense qu’on se dirige de plus en plus vers un règne de l’autoproduction d’un côté, et des géants comme Netflix et Amazon qui viennent tout gober de l’autre, avec peu de place pour l’entre-deux.

SB : C’est vrai que ce qu’on vit est paradoxal : le géant s’écroule, mais il y a une réelle vitalité du milieu. Il n’y a jamais eu autant d’humoristes de genres différents. Ce qui est sûr, c’est que si quelqu’un pense encore que l’humour, ce n’est qu’une seule chose, il ne s’y est pas intéressé pour vrai. Il y a peut-être moins de millionnaires de l’humour, mais il y a plus de gens qui en vivent. Un humoriste peut trouver son public de plein de manières sans qu’un producteur ait à mettre sa face sur un panneau.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Suzie Bouchard

AS : On a vraiment assisté au cours des 10, 15 dernières années à l’émergence d’une classe moyenne de l’humour.

SG : Le public a développé une curiosité qu’il n’avait pas avant et qui, je pense, a été alimentée par En route vers mon premier gala Juste pour rire [concours diffusé à MAtv de 2008 à 2017, qui a contribué à révéler François Bellefeuille, Virginie Fortin, Mariana Mazza, Phil Roy, Katherine Levac, Richardson Zéphir, Rosalie Vaillancourt, Guillaume Pineault, Pierre-Yves Roy-Desmarais et de nombreux autres]. On sous-estime énormément l’impact d’En route. Ça a donné une vitrine qui était inexistante à une relève audacieuse qui ne faisait pas juste une sorte d’humour. Et encore une fois, le but, c’était de faire un gala.

Et Zoofest a eu un impact semblable !

AS : Oui, ça nous a sortis des spectacles solos d’une heure et quart, et demie. Il y avait à Zoofest de la place pour des spectacles concepts, de la prise de risques. Le mot se passait quand un show devenait l’évènement. On sentait l’excitation dans le Monument-National. Je me souviens d’avoir vu Katherine Levac et David Beaucage à leur sortie de l’École nationale de l’humour et d’avoir capoté. Il y avait le sentiment d’une communauté : « Heille, la relève, on existe, on a une parole et un public. »

Et maintenant ?

Est-ce que Montréal a absolument besoin d’un festival d’humour, l’été ?

SB : Ça prendrait quelque chose d’unique, d’évènementiel, qui se différencie de ce qui est déjà offert le reste de l’année.

SG : Ça prendrait, oui, quelque chose de plus marginal, de plus étonnant, comme le festival Fringe d’Édimbourg, ou comme ce qu’étaient Zoofest et Just for Laughs, avec des shows surprises, à différentes heures, parfois tard. Parce qu’en ce moment, en humour, le public aime l’émergence et la nouveauté.

AS : C’est le fun de se promener au centre-ville et d’être émerveillé. Quand j’avais 10, 11 ans, je partais du Centre-Sud avec mon frère et on passait la journée à travers les animations, les mascottes, le cirque. Il faudrait peut-être redonner une place à la relève, à quelque chose de plus edgy, et à l’art de rue.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Arnaud Soly

SG : En tant que Montréalais d’origine, je trouve ça dommage pour Montréal. La Coupe du monde de soccer ne viendra pas, la F1 a l’air de tenir à un fil depuis des années. C’est plate que la ville perde ce qui la distingue. Il faut se rappeler que si Montréal est une des Mecques mondiales de l’humour, c’est grâce à Juste pour rire.

SB : Le milieu a beaucoup changé au cours des dernières années et il avait besoin de changer, mais c’est sûr que sans le festival Juste pour rire, qui a donné son lustre à cette forme d’art là, l’humour n’occuperait pas une si grande place au Québec.

Les propos ont été abrégés et condensés à des fins de concision.

Le 25Gala Les Olivier est diffusé en direct de la salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau ce dimanche à 20 h sur ICI Télé, ICI Tou. tv et à Radio-Canada. ca/Olivier

Les catégories dans lesquelles ils sont cités

Suzie Bouchard

  • Découverte de l’année
  • Capsule ou sketch radio humoristique de l’année (pour La journée (est encore jeune) avec Vanessa Destinée)
  • Deux sélections dans la catégorie Texte de l’année : série télé ou web humoristique (pour Entre deux draps, avec 18 autres auteurs et pour L’œil du cyclone, avec 14 autres auteurs)

Simon Gouache

  • Spectacle d’humour de l’année (pour Live)
  • Auteur de l’année/Spectacle d’humour (pour Live, avec Pascal Mailloux et Marie-Christine Lachance)

Arnaud Soly

  • Olivier de l’année
  • Émission télé humoristique de l’année (pour Club Soly)