Dans Juste entre toi et moi, le journaliste Dominic Tardif se prévaut d’un grand luxe, celui du temps. Toujours quelque part entre le rire et l’émotion, entre la riche réflexion et l’anecdote à bâtons rompus, ces entretiens sont autant d’occasions permettant à des personnalités médiatiques et culturelles d’aller au bout de leur pensée.

Il existe essentiellement deux catégories d’interviewés parmi ceux et celles qui, arrivés à un âge admirable, ont tutoyé beaucoup de gens suscitant la fascination. D’un côté, les pingres de l’anecdote, qui refusent de régaler leurs interlocuteurs de leurs histoires et, de l’autre, les âmes généreuses, qui s’en font une joie. Louise Latraverse appartient sans aucun doute à la deuxième catégorie.

Cette entrevue aurait pu se résumer à une liste de noms de gens célèbres, que nous aurions égrenés un à un, dit-on, à la blague, à cette véritable Zelig de la culture québécoise. « On peut faire ça », répond-elle avec le plus lumineux des abandons. « Fais comme tu veux ! »

Écoutez l'épisode complet sur notre site

Mais ça deviendra rapidement clair : c’est par générosité que Louise Latraverse accepte de revenir sur ses nombreuses rencontres marquantes, bien que surtout afin que ces amis d’une soirée ou d’une vie, souvent disparus, continuent un peu d’exister.

Ce n’est pas pour rien qu’elle évoque toujours, au sujet de ses camarades en allées, quelque chose qui pourrait ressembler à un détail, mais qui n’en est pas un, quelque chose qui les humanise. René Lévesque ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Louise Latraverse en entrevue

Tu passais du temps avec René Lévesque et tu devenais intelligent. C’est ce que ça fait, les gens intelligents, ils te rendent intelligent. Et il dansait si merveilleusement bien. Il était too much, René !

Louise Latraverse

Pierre Bourgault ? Il souffrait de « téléphonite aiguë », parce qu’il passait ses journées le combiné scotché à l’oreille. Réjean Ducharme ? Louise fréquentait en sa compagnie les cabarets d’effeuilleuses du boulevard Saint-Laurent.

C’est que lorsque Louise Latraverse aime une fois, Louise Latraverse aime pour toujours. « Les gens que tu as aimés, tu continues de les aimer », confiera-t-elle au sujet de son regretté mari, le comédien et militant Emmett Grogan, une figure majeure de la contre-culture américaine, à qui Bob Dylan a dédié son album Street-Legal à la suite de sa mort tragique en 1978 et pour lequel Richard Brautigan a écrit un de ses plus magnifiques poèmes, « Death is a beautiful car parked only ».

C’est par l’intermédiaire du pianiste du groupe The Band, Richard Manuel, qui signait la musique d’un film dans lequel elle tournait (Eliza’s Horoscope), qu’elle aboutira à Woodstock, dans l’État de New York, chez Albert Grossman, l’agent de Bob Dylan, qui, lui, était « très désagréable », lance-t-elle dans un irrésistible éclat de rire. C’est là qu’elle rencontrera Emmett.

Mais contrairement à ce qui a souvent été écrit, Louise Latraverse n’a pas assisté au Festival de Woodstock en 1969. « J’étais une straight bine, moi », explique-t-elle. « Et je déteste les foules. Je ne suis pas allée là, es-tu fou ? »

Seul avertissement de Louise, une intime de l’autodérision, avant que nous poursuivions l’entretien : « Souvent, je radote, et il faut aussi que j’en garde pour mon show », prévient-elle en évoquant L’amour crisse, le spectacle solo qu’elle présente un peu partout au Québec et dans lequel elle raconte sa vie. « Alors, des fois, si tu me parles de quelqu’un, je vais te dire : “Non, pour en savoir plus, viens voir mon show.” »

De tous les combats

Ce serait de toute façon une grave erreur que de la réduire à ses célèbres amitiés, tant sa carrière d’actrice, d’Entre la mer et l’eau douce (1967) de Michel Brault à À l’origine d’un cri (2010) de Robin Aubert, occupe une place majeure dans notre cinématographie.

Louise Latraverse a joué dans Les ordres, qui célébrera ses 50 ans en septembre. Elle a été en 1969 de la distribution des Girls de Clémence DesRochers, réplique féministe à L’Osstidcho coiffée de ce savoureux sous-titre « J’sortirai mes poubelles moi-même ». Elle a sauvé le Théâtre de Quat’Sous d’une mort annoncée en 1984. Louise Latraverse a été de tous les combats.

Mais Louise Latraverse a aussi beaucoup joué au Théâtre des Variétés (« des rôles de nounounes que j’adorais ! ») et est peut-être la seule personne au Québec à pouvoir parler de ses conversations avec le pape de la Beat Generation, Allen Ginsberg, et l’instant d’après, de son admiration pour Gilles Latulippe. Elle semble d’ailleurs posséder la qualité qu’elle attribue au maître de l’humour burlesque, « la capacité d’aimer les autres pour ce qu’ils sont », sans les juger.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Louise Latraverse en entrevue

Gilles Latulippe, c’était un être bon. C’est rare qu’on rencontre la bonté. Et tu sais, personne ne voulait aller jouer aux Variétés. C’était snobé, mais moi, j’adorais ça. Imagine, j’ai joué avec Olivier Guimond, c’était formidable.

Louise Latraverse

L’autobiographie pas plate

Louise Latraverse avait juré de ne jamais écrire son autobiographie. « Les biographies sont en général plates, pense-t-elle. C’est toujours un peu ennuyeux, mais paraît-il que le monde adore ça. »

Une promesse qu’elle ne désavoue pas en publiant le 26 mars un livre tout simplement intitulé Louise Latraverse, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une autobiographie classique, mais d’un beau livre regroupant plusieurs de ses dessins, des photos d’archives et des fragments de textes, certains plus intimes, d’autres plus poétiques.

Son gériatre ne s’étonnerait pas qu’elle vive jusqu’à 100 ans, étant donné qu’elle n’a pas jusqu’ici été frappée par de grandes maladies. Et à 83 ans, Louise Latraverse s’en réjouit, parce que malgré une existence ayant comporté son lot de drames, elle aime la vie.

« La chance que j’ai, c’est que je dessine et j’écris, confie-t-elle. Ma vieillesse ne pourra jamais être plate, parce que j’ai des projets. J’adore écrire et dessiner. C’est ma plus grande joie et pour ma vieillesse, c’est ce que je vais faire. »

La liberté a été la seule quête de sa vie et c’est avec un crayon entre les mains qu’elle trouve désormais la sienne.

Louise Latraverse poursuit la tournée de son spectacle L’amour crisse jusqu’en décembre.

Consultez ses dates de spectacles
Louise Latraverse

Louise Latraverse

Québec Amérique

144 pages

Trois citations tirées de notre entretien

À propos de Réjean Ducharme

« J’ai été amie avec Réjean Ducharme pendant des années et je n’en parlais jamais. C’est encore rare que je parle de lui. Réjean m’appelait toutes les nuits. Il était tellement placoteux. À cette époque-là, il venait chez Pauline [Julien] quand il y avait des fêtes. Ce n’est pas qu’il ne voulait pas se montrer, c’est qu’il avait peur du monde. C’était l’être le plus exquis, drôle. »

À propos de Janis Joplin

« Je ne m’entendais pas du tout avec elle. Je ne peux même pas te dire à quel point on ne s’aimait pas, Janis et moi. Elle demandait toujours “Is the french actress still here ?” Et elle se tenait toujours avec les gars, dont Emmett. Ça prenait un coup, ça buvait du Southern Comfort. J’haïssais tout ça. Je m’en allais dans la cuisine avec d’autres amis. »

À propos de Clémence DesRochers

« Clémence est une poète et la fille la plus drôle au monde. Je ne peux même pas te dire à quel point elle était drôle, sur scène et dans la vie. Quand on était en tournée, dans l’autobus, elle prenait la place et elle nous faisait des numéros toute la journée, c’était un feu roulant. C’était drôle à mort et nous étions toutes ses cobayes. Elle se servait de nous, de nos défauts. Et puis quand elle chantait, on pleurait. »