À quelques semaines de la présentation de sa première médiatique, qui se tiendra bel et bien ce mardi soir à l’Olympia, à Montréal, Neev apprenait que son producteur, le Groupe Juste pour rire, se plaçait à l’abri de ses créanciers. L’humoriste et ses gérants racontent comment ils ont désamorcé le fusil posé sur leur tempe.

Comme des milliers de Québécois, Neev a reçu le 5 mars en matinée une notification de La Presse annonçant que le Groupe Juste pour rire se plaçait à l’abri de ses créanciers. La surprise. Mais pour Neev, la nouvelle revêtait quelque chose de plus personnel : depuis une quinzaine d’années, l’humoriste est sous contrat avec le fleuron du rire québécois, qui assumait la production de sa tournée Pas besoin d’ajouter la sauce, et dont la première médiatique montréalaise se profilait à l’horizon.

Ma femme a reçu la même notification et m’a tout de suite texté : ‟What the fuck ? » Puis j’appelle Gigi [Gisèle Barry], ma gérante, qui était toute de bonne humeur, pour lui demander si elle avait lu La Presse. Elle me répond : ‟Quoi, il y a un article sur toi ? » Et puis après, c’est mes parents qui m’appelaient, tout paniqués de penser que mon show était annulé.

Neev

Que se passait-il alors dans la tête et dans le cœur de Neev ? « Tu sais quoi ? C’est comme rendu presque risible », confie le Québécois d’origine juive marocaine de 39 ans, découvert en 2009 après que ses amis, qu’il faisait marrer avec ses anecdotes arrachées à son quotidien de vendeur chez Vidéotron, l’ont convaincu de monter sur scène, au Théâtre St-Denis, en première partie de Gad Elmaleh. Quelques mois plus tard, il signait son premier contrat de comique avec Juste pour rire.

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Neev

« On me disait : t’es le prochain Rachid, on va te packager, te donner des auteurs et t’envoyer sur la route », se souvient celui qui était à ce moment auteur-compositeur-interprète. « Mais petit à petit, j’ai découvert c’était quoi le métier et j’ai compris que je ne voulais pas être un humoriste qu’on package, mais un auteur-compositeur de l’humour. »

Comme une poutre dans le crâne

L’ancien étudiant en philo a donc dû faire ses classes, en multipliant les apparitions dans les soirées d’humour ainsi qu’en réchauffant le public de Louis-José Houde, dont il assure les premières parties depuis sa tournée Préfère novembre.

« Il y a plein de défis qui se sont présentés sur mon chemin », dit celui qui avait comme plan de lancer sa première tournée en mars 2020, un spectacle dont il avait amorcé le rodage, mais qui allait finir sa course dans un tiroir, à cause d’un certain évènement mondial dont vous vous souvenez peut-être.

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Affiche du spectacle de Neev devant le siège social de Juste pour rire, début mars, avant l’annonce du groupe

Comme un urgentologue qui accueille un patient avec une poutre dans le crâne, après l’annonce de Juste pour rire, le réflexe de survie a pris le dessus. Je me suis dit : s’il faut que je vende ma maison, je vais la vendre.

Neev

Il rigole. « Mais bon, heureusement, je vais pouvoir garder ma maison. Mes gérants m’ont tout de suite rassuré en m’affirmant que ma première allait avoir lieu, de ne pas m’inquiéter. »

Comme dans un film

Si Gisèle Barry, la gérante de Neev, se trouvait derrière son ordinateur au moment d’apprendre la mauvaise nouvelle, son partenaire, François Simard, était à bord d’un avion qui venait de décoller de Montréal, en direction de Yellowknife, où il se rendait pour les Rendez-vous de la francophonie.

« Je l’ai appris juste, juste après le décollage, explique-t-il. J’ai été pris dans l’avion pendant cinq heures, sans accès à l’internet, et j’ai dû envoyer au moins 150 textos. »

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Neev en compagnie de ses gérants, François Simard et Gisèle Barry

On s’est retrouvé avec un gun sur la tempe. On arrivait au bout de presque 15 ans de travail et il y avait encore une situation où on risquait de ne pas pouvoir présenter de première. Disons que le temps passe vite dans ces moments-là.

François Simard, gérant de Neev

Vétérans de l’industrie de l’humour, Gisèle Barry et François Simard ont tous les deux œuvré pour Juste pour rire, à différents moments et à différents titres, à partir de (respectivement) 1987 et 1990. Ils choisissaient à l’automne 2023 de fonder leur propre petite agence de gérance, question de ralentir leurs activités, tout en continuant de veiller au cheminement de leurs poulains. Il était alors hors de question pour eux de devoir devenir, du jour au lendemain, producteurs de spectacles.

Après que le syndic a estimé les coûts engrangés jusque-là par Juste pour rire afin de mettre sur pied et en marché la tournée de Neev, François Simard a donc rédigé une offre de rachat sur son ordinateur portable, à bord d’une voiture, sur l’autoroute 20, en direction de la capitale, au matin de la première de l’humoriste à Québec. « C’était pas mal cocasse, résume-t-il. On aurait presque dit une scène de film. »

Attacher les ficelles

Entre-temps, Gisèle Barry avait contacté tous les collaborateurs du spectacle afin de les rassurer, tout en prenant soin de ne pas sursolliciter les ex-employés de Juste pour rire, jusque-là chargés de différents dossiers concernant Neev. « Disons que la semaine de l’annonce, ce n’était pas le moment de les bombarder de questions », observe-t-elle, tout en soulignant les efforts déployés par les patrons Patrick Rozon et Marie-Julie Larivière afin d’adoucir la transition.

« Lancer un spectacle, tenir une première, c’est beaucoup de petites ficelles à attacher », poursuit-elle. Qui a la liste d’invités en main ? Où se trouvent les visuels ? Que faire de la campagne d’affichage ? Il avait aussi fallu joindre tous les diffuseurs qui doivent accueillir Pas besoin d’ajouter la sauce jusqu’en novembre 2025, afin d’apporter les modifications nécessaires aux contrats.

Une panoplie de tâches pour lesquelles la petite structure de la boîte de Gisèle Barry et François Simard, Simone & Associés, n’était pas préparée. « Il se peut qu’au cours des prochaines semaines, on ait besoin de bras », confirment-ils. D’autant plus que lundi, Neev et ses gérants devenaient officiellement les détenteurs des droits de son spectacle.

Bien qu’une sérieuse compétition prévale au sein du merveilleux monde des professionnels du drôle, Neev avait rarement autant senti la solidarité de son milieu.

« L’humour, c’est comme le tennis : on veut tous gagner des Grands Chelems, reconnaît-il. Mais j’ai reçu une réelle vague de soutien et d’empathie. Tout le monde m’a appelé parce que je pense que tout le monde sait qu’une première, c’est comme une bar-mitsvah, ça ne s’annule pas. »

Pas besoin d’ajouter la sauce, ce mardi 26 mars à l’Olympia et en tournée partout au Québec

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