De retour sur scène, mais au théâtre cette fois-ci, après cinq ans d’absence, Claudine Mercier raconte à quel point il fait bon de ne plus avoir besoin du regard des autres. Entretien avec une grande vedette de l’humour québécois, qui n’arrive pas à se considérer ainsi.

Claudine Mercier déroulait le fil d’actualité d’un populaire réseau social quand elle est tombée face à face avec elle-même. « J’ai vu apparaître la vidéo d’un de mes vieux numéros et je me disais : “Ben voyons, je suis donc ben bonne !” »

Narcissique, l’humoriste ? Tout le contraire. Se trouver bonne n’a jamais été une spécialité de celle dont les imitations de Sonia Benezra et de Lise Watier appartiennent au panthéon des plus mémorables personnifications de l’histoire de l’humour québécois.

Loin des projecteurs depuis la fin de sa cinquième tournée en juin 2018, Claudine Mercier, 62 ans, parle aujourd’hui de sa carrière « comme si je te parlais de la vie de quelqu’un d’autre ».

Se retirer de l’espace public, prendre un pas de recul aura été pour elle l’occasion de constater que tout ce sur quoi reposait sa peur de ne jamais être à la hauteur pouvait s’en aller sans que la Terre cesse de tourner. Et sans que le bonheur la fuie.

C’est un métier où le regard des autres est hyper important et quand tu n’es plus là-dedans, il y a quelque chose de très libérateur. Ça laisse de l’espace pour autre chose, de ne plus tout le temps être à l’affût de ce que les autres pensent, de ne plus tout le temps chercher la validation.

Claudine Mercier

Elle incarne dans Silence, on tourne !, la pièce qui prendra l’affiche fin juin à Saint-Jérôme, une comédienne et productrice sur le retour d’âge, n’ayant vraiment pas une mauvaise opinion d’elle-même.

« Un rôle de composition », précise-t-elle, même si la précision n’était pas du tout nécessaire. Si elle a accepté ce premier rôle au théâtre, c’est beaucoup au nom de son amitié pour Emmanuel Reichenbach (qui signe l’adaptation du texte), ainsi que parce que l’isolement de la pandémie lui aura donné plus que jamais envie de voir du monde.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Claudine Mercier

Mais renouer avec l’humour, en solo ? Claudine Mercier ne voudrait pas s’infliger pareille épreuve. « Avec le temps, je me rends compte que je n’ai pas la personnalité pour faire ça, que je suis trop insécure », lance celle qui a pourtant vendu plus de 750 000 billets en carrière – son troisième spectacle a à lui seul accumulé 450 représentations.

« Et en vieillissant, tout devient plus stressant », confie-t-elle en se remémorant son dernier spectacle, dont la première avait été tièdement accueillie, et pour lequel elle n’avait vendu que 40 000 billets, le « que » étant ici très relatif, bien que Claudine n’ait pas pu s’empêcher d’y voir le signe d’une baisse d’intérêt.

« En rétrospective, je me rends compte que c’est difficile pour un artiste de trouver le bon équilibre entre se renouveler et ne pas décevoir ton public. Et l’attrait de la nouveauté fait partie de la vie, c’est normal. Maintenant, c’est au tour d’autres humoristes de briller. »

Parler d’elle-même

Claudine Mercier a beau prétexter « être rouillée sur le plan de la représentation publique », elle ne se fait pas prier, tout au long de notre entretien, pour prendre la voix d’une de ses muses – Sonia, Lise, Ginette Reno – dès qu’on prononce son nom. Un irrépressible talent qui aura triomphé pendant toutes ces années de sa grande timidité ou de ce qu’elle appelle un « manque de guts ».

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Claudine Mercier a coanimé le gala des Olivier avec Mario Jean en 2001.

Votre journaliste lui fait remarquer que pour une femme qui a manqué de guts, elle compte assurément parmi les figures les plus populaires de l’humour québécois des décennies 1990 et 2000. Elle sourcille.

C’est drôle, mais je ne me suis jamais vue comme une vedette. Dans ma tête, c’était toujours quelqu’un d’autre, la vedette, c’était toujours Lise Dion ou Marie-Lise Pilote.

Claudine Mercier

Claudine Mercier n’a jamais été du genre à se précipiter sous la lumière, mais plutôt de celles que l’on pousse vers la scène. Ce sont ses amis des Artishows, le groupe vocal qu’elle formait avec Chantal Lamarre, Widemir Normil et FM Le Sieur, qui insiste afin qu’elle participe à Cégeps en spectacle en 1980 (elle s’incline en finale provinciale devant Martine St-Clair).

Après des études en théâtre à l’UQAM, elle se rend vite compte qu’elle n’a pas la patience ni l’assurance pour attendre qu’on la convoque en audition. Elle se tourne vers l’École Juste pour rire, sous les conseils de Jean-Marc Parent.

L’art de l’imitation était déjà, à l’époque, pris de haut, se souvient-elle. « Pour les autres humoristes, c’était quétaine, facile. Même quand j’ai été acceptée à l’École, on m’avait dit que normalement, on n’acceptait pas d’imitateur, mais que vu que j’étais une femme, on allait prendre une chance avec moi. »

Suis-je plus heureuse ?

Être une femme. À chaque entrevue, le proverbial sujet des femmes en humour aura sans cesse resurgi, non pas parce que ses interlocuteurs se souciaient d’équité, mais parce que l’idée absurde que les femmes soient intrinsèquement moins drôles que les hommes comptait encore beaucoup d’adeptes.

Toute ma carrière, je me suis fait demander pourquoi les femmes sont moins drôles, et quand ce n’était pas dit directement, c’était sous-entendu. Et toutes les fois, je sentais qu’on mettait la responsabilité sur mes épaules.

Claudine Mercier

Si elle avait à élaborer un nouveau one-woman-show – elle appuie sur le si – il y serait assurément question d’environnement et du désert d’Atacama au Chili, dans lequel l’Occident déverse les excès de la mode au rabais. Citoyenne inquiète pour la planète, Claudine Mercier sait que nous gagnerions tous à nous délester, au nom de l’avenir, et peut-être aussi notre propre sérénité.

PHOTO ANDRE PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Claudine Mercier, sur scène, en 2017

« La fast fashion, c’est le parfait exemple d’une affaire qui nous complique la vie pour rien, se désole-t-elle. On passe sa vie à vouloir être comme tout le monde, à vouloir avoir plein d’affaires, puis tu arrives à 60 ans et tu te dis : qu’est-ce que je fais avec tout ça ? Est-ce que tout ça me rend vraiment plus heureuse ? »

Silence, on tourne !

Silence, on tourne !

Au Théâtre Gilles-Vigneault de Saint-Jérôme

Du 23 juin au 12 août

Consultez le site de la pièce