Jean-Sébastien Girard s’inspire de sa singularité dans Un garçon pas comme les autres, son premier spectacle solo qu’il présentera cette semaine à Montréal. Une douce revanche pour celui qu’on a découvert à La soirée est (encore) jeune, et qui a compris il n’y a pas si longtemps que sa différence était sa force. Discussion ouverte et sincère à travers des objets choisis.

Le titre

Lorsque Patrick Rozon lui a proposé de monter un spectacle il y a quelques années, Jean-Sébastien Girard a beaucoup cherché ce qu’il allait écrire. « Je me disais : mais qu’est-ce que je peux dire que je n’ai pas déjà dit à La soirée ? Ou qui n’a pas été dit par mille autres humoristes ? » Puis cette chanson de Starmania, Un garçon pas comme les autres, a fait irruption dans son esprit. Et c’est en décidant de l’utiliser comme titre pour son spectacle qu’il s’est mis à faire le ménage dans ses idées et à élaguer tout ce qui était superflu. « J’ai su ce que je voulais écrire à partir de mon titre. Ç’a été une bénédiction. »

Et ce qu’il voulait raconter finalement, c’était ça : l’histoire de ce garçon particulier, qui adorait les vedettes du showbiz, qui aimait se déguiser et animer de fausses émissions, qu’on a appris à connaître à La soirée est (encore) jeune. « La quête des humoristes, c’est souvent celle du personnage. Et moi, j’en suis un, je l’ai exploité pendant 10 ans, j’en connais tous les filons. » Tellement qu’il lui a donné assez de matériel pour créer un spectacle de stand-up pur, qu’il a peaufiné en rodage pendant tout l’automne.

Question importante : quelle est son interprétation préférée d’Un garçon pas comme les autres ? « Celle de Céline Dion. Je connaissais déjà la chanson, mais l’album Dion chante Plamondon est très important dans ma vie, et je mentirais si je disais que ma préférée, c’est une autre version que celle-là. Ça reste la mienne. »

L’évolution

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le coffret DVD de Terre humaine

Quand il veut se détendre ou être réconforté, Jean-Sébastien Girard aime regarder de vieux téléromans comme Le temps d’une paix ou Terre humaine. « En partie pour le deuxième degré, aussi pour le côté nostalgique, mais parce que j’y trouve encore des qualités. J’aime encore ça pour vrai. » Dans le spectacle, ces anciennes émissions qui traduisaient aussi l’air ambiant à coup d’homophobie, de racisme et de sexisme décomplexés lui permettent de mesurer à quel point les choses ont changé. « Et c’est tant mieux. »

« Dans Terre humaine, il y a une scène où une mère dit que sa plus grande peur, c’est que son fils “devienne tapette”. Je montre des choses comme ça pour expliquer que des gens se construisaient là-dessus. Cette télé était confrontante pour toutes les personnes qui étaient différentes. C’est une autre époque, oui, mais ça ne fait pas 100 ans, là ! »

La nostalgie

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Quelques vinyles

Quand il affirme qu’il ne se définit pas comme nostalgique, ses amis « hurlent de rire », raconte Jean-Sébastien Girard. Mais il persiste et signe. « Je suis très heureux maintenant et en totale adéquation avec mon époque. » S’intéresser au passé ne signifie pas qu’on préférerait y vivre, mais c’est vrai qu’à 47 ans, il semble parfois né à la mauvaise époque. « Un garçon pas comme les autres, c’est justement ça ! C’est la différence des intérêts. J’ai été élevé par ma mère et ma grand-mère qui habitait en haut, c’était très fusionnel. J’ai longtemps aimé ce qu’elles aimaient. »

Il l’admet, s’il est plus contemporain dans ses goûts du côté des séries, du cinéma ou du théâtre, en musique il écoute davantage de « vieilles affaires » – on le voit à sa sélection de vinyles. « JS Tendresse, ce n’est pas une posture. C’est vraiment une musique que j’écoute. J’aime ça, Les Louanges, je reconnais plein de qualités à la musique actuelle et je suis au courant de ce qui sort, mais elle touche moins ma sensibilité. »

La différence

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Une trousse de camions Tonka

« Mon père espérait me rendre normal à coups de camions de construction Tonka jaunes », dit Jean-Sébastien Girard pendant son spectacle. « Moi, je voulais des Barbie, explique-t-il. J’ai une photo de moi à 5 ans avec un gros camion, je n’en voulais pas, je ne savais pas quoi faire avec ça ! » Camion qu’il avait d’ailleurs appelé… Isabelle.

Cette impression de ne pas être adéquat face aux attentes, c’est le cœur de son propos – sa mère lui a d’ailleurs donné un petit Tonka à Noël pour y faire écho. « Les originaux, je ne les ai pas gardés. »

Grandir avec le sentiment d’être différent aura été fondateur pour le jeune garçon qui vivait avec cette sensation quotidienne de ne pas être ce qu’il devrait être. Mais que choisirait-il aujourd’hui entre sa singularité et une vie dans la norme ? Il réfléchit longuement. « Je garderais la vie que j’ai présentement. Mais dans la prochaine, j’en prendrais peut-être une dans la norme. Une petite vie où je serais bon au ballon chasseur. Ouais, je serais dû pour une vie plus reposante. »

La scène

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Un buste de Molière

Au début de l’âge adulte, Jean-Sébastien Girard s’est découvert une passion pour le théâtre. « Je suis passé de Pierre Marcotte à Molière ! » Inscrit en théâtre à l’UQAM, il déchante vite – « Je n’étais pas bon ! » – et, après sa scolarité, se réoriente un peu par hasard vers le boulot de recherchiste culturel à Radio-Canada.

« J’ai fait ça pendant 15 ans et j’ai adoré. Pour vrai. » Le rêve d’être « devant » avait pris le bord, mais le destin en a voulu autrement : des capsules humoristiques lui permettent de se faire remarquer par la réalisatrice de La soirée, qui le recrute. Le reste a déboulé. Ce premier spectacle arrive donc après un très long détour et aujourd’hui, Jean-Sébastien Girard a l’impression d’être exactement au bon endroit, d’avoir le souffle, le propos et le recul.

Je n’aurais pas pu le faire il y a 10 ans. Je n’avais pas l’autodérision. C’est La soirée qui m’a réconcilié avec tout ça. Avant je regardais les photos de moi ado et je me trouvais donc ben ridicule. Là je les montre sur grand écran, et on en rit.

Jean-Sébastien Girard

Quand il voit que les gens sont au rendez-vous pour ce spectacle qu’il a voulu vraiment drôle – « J’ai fait bien attention : si on se sent dans une conférence de Jasmin Roy sur l’intimidation, c’est que j’ai raté mon coup ! » –, c’est un peu comme s’il se réappropriait son histoire. Et il prend une amusante revanche en forme d’ode à la différence.

« Je n’aurais jamais imaginé ça. » Un beau parcours, oui. Il éclate de rire. « Je pourrais mourir, la boucle est bouclée ! Je peux partir. »

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