Il y a un livre à écrire sur les chicanes qui déchirent le showbiz québécois depuis l’ouverture du Faisan doré et de la Casa Loma.

Quelles animatrices se détestent violemment, quels acteurs refusent de jouer ensemble, quelle vedette empêche ses camarades de décrocher des contrats payants, qui bavasse dans le dos de qui sans arrêt ?

Un tas de potins circulent et ne se publieraient pas dans un journal ou même sur un site web comme Monde de Stars. Qui pratique la scientologie dans notre colonie artistique, qui trompe son conjoint avec son collègue depuis des lunes et qui traîne une réputation de diva complètement justifiée ?

Ce bouquin se vendrait comme des petits ponchos, aucun doute. Mais qui oserait le pondre ? Voilà l’épineuse question. Car dévoiler autant de secrets, c’est a) s’exposer à de colossales poursuites judiciaires, b) être ostracisé par la chic faune du Théâtre du Nouveau Monde et c) vivre comme un paria pour le restant de son existence.

Au fil des ans, des romans à clé comme La chute de Babylone, de Guillaume Sylvestre, ou Le bal des ego, de Carmel Dumas, ont révélé des infos croustillantes sur des personnalités québécoises connues, mais rien qui s’approche de l’acte d’autosabotage – ou de suicide social ? – posé par l’écrivain Truman Capote, en novembre 1975.

Confident de toutes les influentes dames de la haute société new-yorkaise, le romancier américain a éventé tous les secrets de ses riches meilleures amies dans un texte dévastateur imprimé dans le magazine Esquire et intitulé « La Côte Basque, 1965 », du nom du restaurant français de Manhattan où lunchaient Truman Capote et ses copines tirées à quatre épingles.

L’impact de ce missile littéraire, sorte de Gossip Girl raffiné, fait l’objet de la délicieuse minisérie Feud : Capote vs. The Swans, dont les deux premiers épisodes atterrissent ce mercredi sur la plateforme Disney+.

La liste des actrices au générique étincelle : Calista Flockhart, Diane Lane, Demi Moore, Naomi Watts, Chloë Sevigny, Jessica Lange et Molly Ringwald. Et sous le chapeau de l’excentrique auteur de Breakfast at Tiffany’s et d’In Cold Blood, l’acteur Tom Hollander est fabuleux.

Dans « La Côte Basque, 1965 », Truman Capote avait à peine modifié les noms des femmes – les fameux cygnes du titre de la série – au cœur de son papier sulfureux de 13 000 mots, que toute la bourgeoisie de la 5e Avenue a dévoré. Comme diraient les anglos, Truman Capote a renversé le thé et la théière au complet.

De sa plume trempée dans le vitriol, l’écrivain y accusait Ann Woodward (Demi Moore) d’avoir assassiné son mari banquier, ce qui était vrai. Il décrivait les nombreuses infidélités du patron de CBS, Bill Paley, l’époux de la magnifique Babe Paley (Naomi Watts), dont une aventure scandaleuse avec une héritière de la famille Rockefeller, qui avait intentionnellement taché les draps conjugaux de son sang menstruel.

PHOTO FOURNIE PAR FX

C’est l’acteur Tom Hollander qui incarne Truman Capote.

Parmi les autres cygnes écorchés par Truman Capote, on retrouve la matrone Slim Keith (Diane Lane), une mariée en série sortie du fin fond de l’Ouest américain, qui ne s’abreuve que de champagne Cristal de Roderer. La seule que Capote nommait expressément dans son récit, Lee Radziwill (Calista Flockhart), sœur cadette de Jacqueline Bouvier Kennedy Onassis, était qualifiée de « petite geisha ».

Les épisodes de Feud : Capote vs. The Swans racontent avec moult détails croustillants à quel point cet article vicieux a ébranlé les papesses du bon goût de l’Upper East Side. Truman Capote croyait ses précieuses amies trop stupides et superficielles pour se reconnaître dans « La Côte Basque, 1965 ». Grave erreur. Les cygnes se vengeront de Capote en ne lui adressant plus jamais la parole et en le bannissant de tous les cercles mondains de New York.

Truman Capote, souvent dépeint au cinéma (bonjour l’extraordinaire Philip Seymour Hoffman), demeure un personnage fascinant pour la télévision. Alcoolique et toxicomane, c’est un homme à la fois brillant, cruel et détestable, qui pose un regard implacable sur le 1 % du 1 %.

Les « socialites » adoraient le flamboyant Truman Capote parce qu’il les écoutait et leur accordait plus d’attention que leurs propres conjoints fortunés. En retour, Capote, issu d’un milieu pauvre, grimpait dans l’échelle sociale grâce à ces femmes puissantes, gardiennes des clés de la jet-set.

Feud : Capote vs. The Swans, que réalise le cinéaste Gus Van Sant, se déroule dans un univers doré de dîners à Palm Beach, de fêtes somptueuses au Plaza, de parties de polo dans les Hamptons et de bals de débutantes.

Une des rares personnes qui n’ont pas renié Truman Capote après la sortie de son essai ravageur est Joanne Carson (Molly Ringwald), la deuxième femme de l’animateur de talk-show Johnny Carson. Truman Capote mourra d’ailleurs dans la maison de Malibu de Joanne Carson, en août 1984.

Les lois québécoises, qui protègent davantage la vie privée qu’aux États-Unis, compliqueraient la publication d’un roman à clé rédigé dans le style incisif de Capote.

Si un tel livre « choquant » sortait un jour dans nos librairies, c’est clair que j’en serais le premier lecteur, jamais l’auteur. Je tiens à ma table au Leméac, quand même.