Le créateur de la franchise True Detective sur HBO, Nic Pizzolatto, n’est pas de bonne humeur ces temps-ci. La quatrième saison de cette série, True Detective : Night Country est celle qui a eu le plus de succès sauf que… c’est la seule qu’il n’a pas écrite. Depuis, il y va de commentaires passifs-agressifs sur les réseaux sociaux auxquels répondent les fans et même certains artisans de la quatrième saison. On comprend qu’un auteur puisse être frustré que sa création lui échappe, mais ce lancer de bouette en public n’est pas très édifiant.

True Detective est une minisérie d’anthologie policière dont chacune des saisons est indépendante. L’histoire, la distribution et la réalisation changent chaque fois, mais l’auteur était toujours, jusqu’à présent, Nic Pizzolatto. La première saison en 2014, qui se déroulait en Louisiane, glauque et rugueuse à souhait, mettait en vedette Matthew McConaughey et Woody Harrelson et avait reçu un accueil dithyrambique, assez pour lancer la franchise. La deuxième saison, avec Colin Farrell et Rachel McAdams en 2015, avait moins levé – personnellement, j’avais abandonné rapidement et je n’avais pas regardé la troisième en 2019 avec Mahershala Ali et Stephen Dorff, qui avait eu de bonnes critiques.

Mais comme Jodie Foster faisait partie, avec Kali Reis, de l’affiche de la saison quatre, True Detective : Night Country, entièrement écrite et réalisée par Issa López, j’ai regardé le premier épisode, pour ensuite enfiler les cinq autres sans pouvoir m’arrêter, et sans jamais sauter le générique, porté par une chanson de Billie Eilish, Bury a Friend, que j’adore. D’ailleurs, toute la trame sonore de True Detective : Night Country fait une formidable liste d’écoute.

Je ne peux résister aux histoires qui se déroulent dans la neige en hiver, qu’on voit trop peu à la télé, et ici j’étais servie, puisque l’intrigue se situe dans une petite ville fictive en Alaska, superbement filmée.

La vie est dure sous ces latitudes, où les habitants sont isolés et un peu laissés à eux-mêmes, comme coupés du reste du monde. La cohabitation entre les Blancs et les membres du peuple autochtone Inupiat n’est certes pas sans tensions aussi. Issa López a expliqué vouloir offrir un miroir froid et féminin à la saison 1, qui était chaude et masculine. Nous restons dans le domaine policier, avec deux inspectrices, Liz Danvers (Jodie Foster) et Evangeline Navarro (Kali Reis), qui doivent enquêter sur la disparition mystérieuse de huit hommes travaillant à la base de recherche de Tsalal, qui rappelle beaucoup la bande de gars coincés en Antarctique du film culte The Thing de John Carpenter. La découverte de leurs corps nus et entrelacés dans la glace n’est rien de moins qu’horrifiante, d’autant plus qu’aucun indice ne permet de déterminer ce qui a bien pu les mener à une mort collective aussi étrange.

Mais comme on trouve sur la base une langue coupée, cela ranime aussi un cas non résolu, le meurtre six ans auparavant d’une militante Inupiat qui protestait contre la mine locale, car en plus de l’avoir poignardée, on lui avait coupé la langue.

Danvers et Navarro sont à couteaux tirés pour toutes sortes de raisons, mais elles n’auront pas le choix de faire équipe. Deux femmes au caractère bien trempé, qui ont chacune leurs blessures intimes et profondes, ainsi qu’un secret en commun, interprétées avec brio par Foster et Reis, qui forment un duo très émouvant et efficace.

En six épisodes seulement, la réalisatrice Issa López réussit à créer une expérience immersive dans une communauté fictive en Alaska, avec des images stupéfiantes de beauté, alors que nous sommes dans la période de l’année où il fait nuit, 24 heures sur 24.

À cela, elle ajoute une touche de fantastique, car les personnages ont parfois des visions fantomatiques de leurs morts, ce qui pourrait rebuter ceux qui n’aiment pas le genre, mais soyez rassurés, l’intrigue a une explication logique, et un dénouement renversant qu’on ne voit pas du tout arriver.

Il y a surtout dans True Detective : Night Country des personnages féminins forts, une sororité enveloppante et bouleversante, ainsi qu’un sous-texte politique que certains pourraient qualifier de « woke » – c’est probablement ce qui agace les fans de Pizzolatto, déchaînés dans les commentaires –, mais c’est une série qui a indéniablement une âme, sans rien sacrifier au suspense. En tout cas, ce sera certainement l’une de mes préférées de l’année.

HBO a révélé au magazine Variety que la quatrième saison a été la plus regardée depuis le début de True Detective, soit 12,7 millions de téléspectateurs sur toutes les plateformes, et a annoncé que Issa López serait à la barre de la cinquième saison. Ce qui ne devrait pas réconcilier Pizzolatto et López, on s’en doute.

True Detective : Night Country, en version originale anglaise, ainsi qu’en version française sur Crave. La série est également diffusée à Super Écran.