C’était impossible de ne pas craquer pour Chandler Bing dans la sitcom Friends.

Il ne pognait pas avec les filles (sauf avec l’insupportable Janice. Oh. My. God !). Il détestait son travail administratif de 9 à 5, que personne, même lui, ne comprenait vraiment. Il se réfugiait dans le sarcasme pour éviter l’intimité et la proximité.

Il gaffait continuellement. Il luttait contre ses vices, dont la cigarette. Il possédait, comme son interprète Matthew Perry, un charme naturel et un regard à la fois espiègle et triste.

Aurait-il pu être plus adorable et drôle ?

Il faut prononcer cette dernière phrase en mettant l’accent sur le verbe « être », dans le phrasé saccadé de Chandler qu’a inventé l’acteur Matthew Perry et qui résonne encore dans des millions d’écrans, partout dans le monde.

Avec le départ tragique de Matthew Perry, retrouvé mort dans sa baignoire à remous samedi, les téléspectateurs perdent un ami prodigieux, qui a encapsulé en un seul personnage sardonique tout un pan de la génération X, anxieuse, résignée, accro au café noir et en quête d’un nouveau modèle de famille, celle que l’on choisit.

Métrosexuel avant son temps, ce Chandler Bing baveux et nécessiteux aurait pu être extra-détestable sans l’immense talent de Matthew Perry, le maître incontesté de la réplique cinglante (il écrivait plusieurs de ses propres gags dans Friends). Oui, Chandler bombardait de remarques acides ses cinq meilleurs amis, mais il leur démontrait aussi une grande vulnérabilité et une loyauté à toute épreuve.

Cet équilibre tragi-comique a fait de Chandler Bing le miroir de Matthew Perry, un des personnages les plus connus, marquants et aimés des années 1990 et 2000. Sous cette épaisse couche d’autodérision – et de vêtements portés en superposition – se cachaient un grand romantique et un jeune homme tourmenté.

Plus rusé que l’acteur charmeur Joey (Matt LeBlanc) et moins psychorigide que le paléontologue Ross (David Schwimmer), Chandler nous ressemblait davantage avec son emploi aliénant, ses échecs amoureux et ses blagues dirigées contre lui, attirant ainsi notre sympathie indéfectible. Comme dans STAT, j’aurais vendu un de mes reins en Roumanie pour assister à un enregistrement de Friends et boire un latté dans une immense tasse au Central Perk. Smelly Cat, quelqu’un ?

La plateforme Crave offre toujours les dix saisons de Friends, qui demeurera l’ultime comédie de réconfort quand ce n’est pas ton jour, ta semaine, ton mois ou même ton année. I’ll Be There for You, chantait le groupe The Rembrandts bien avant que Marilou et Gino Quilico sortent l’extrait Je serai là pour toi.

À l’époque, personne ne soupçonnait que cet acteur canado-américain hyper doué, qui a grandi à Ottawa, souffrait autant pour divertir les fans de Friends. À l’instar des terribles cas de Robin Williams et de Chris Farley, le clown était triste et très malade.

Matthew Perry, 54 ans, raconte son alcoolisme et sa toxicomanie avec franchise et humour dans son excellent livre autobiographique Friends, mes amours et cette chose terrible. Il a sifflé sa première bouteille de vin – au complet – à 14 ans, et à 18 ans, il buvait tous les jours.

C’est à la suite d’un accident de motomarine sur le plateau du film Fools Rush In, à l’été 1997, que Matthew Perry a développé une dépendance aux opioïdes, un puissant médicament antidouleur. Il en avalait jusqu’à 55 comprimés par jour, qu’il noyait dans la vodka (un litre quotidiennement) et mélangeait avec des anxiolytiques, huit milligrammes d’Ativan toutes les 24 heures dans le pire de sa descente aux enfers.

IMAGE TIRÉE DU FILM FOOLS RUSH IN

Matthew Perry et Salma Hayek, dans Fools Rush In

Il a frôlé la mort plusieurs fois. Il a perdu ses dents d’en haut en mordant dans une rôtie. Son côlon a explosé en 2018 et les médecins estimaient à 2 % ses chances de survie. À la télé, son poids oscillait au rythme de ses comportements addictifs.

Dans la troisième saison de Friends, où il consommait énormément de pilules, Matthew Perry flottait dans ses cotons ouatés et pesait 128 livres pour une grandeur de 6 pieds. Quand il arborait une barbiche de bouc, c’est qu’il tombait au fond du baril. Et quand il frôlait les 225 livres, il vivait un lendemain de veille perpétuel.

Il n’a été sobre que pendant la neuvième saison de Friends, qu’il juge comme sa meilleure. Contrairement à Lisa Kudrow et Jennifer Aniston, Matthew Perry n’a jamais remporté de prix Emmy pour Friends, alors qu’il était le plus brillant du groupe.

Le plus tragique, c’est que Matthew Perry a fait 65 séjours en désintox et dilapidé près de 10 millions en cures diverses pour se guérir. Et après presque 30 ans de rechutes, il avait enfin expulsé la drogue de son corps.

Après autant d’excès, Matthew Perry, qui fumait aussi comme une cheminée, s’étonnait lui-même d’être encore en vie. L’annonce de sa mort n’aurait dû être une surprise pour personne. Pourtant, même si on se doutait que son corps était usé et brisé, son départ a été un choc : Perry est mort seul, dans son immense villa de Los Angeles.

Des tonnes d’argent, un succès mondial et une copine comme Julia Roberts (qu’il a larguée en 1996) ne l’auront pas rendu heureux ni sauvé du gouffre.

Les causes officielles de la mort de Matthew Perry n’ont pas encore été révélées publiquement. Son cœur fatigué a peut-être lâché. En tout cas, nos cœurs à nous, admirateurs de ce grand acteur pince-sans-rire, sont en mille miettes. Et le lazy-boy en cuir de l’appartement en face de celui de Monica n’aura jamais été aussi vide.