Nous lisons des autobiographies de vedettes parce qu’on est fan ou friand de potins croustillants. Dans le cas des mémoires de Britney Spears, La femme en moi, il y a évidemment ça, mais encore plus : nous voulons vraiment connaître sa version de la vie qui l’a menée sous une tutelle stricte pendant 13 ans où elle n’a pu parler.

La preuve qu’on veut tout savoir est que ce livre, un contrat de 15 millions de dollars pour Britney Spears, 41 ans, publié en plusieurs langues le même jour, était déjà un best-seller avant sa sortie et sera sûrement l’un des titres les plus vendus de l’année.

Je l’ai lu d’une traite, sans sauter une ligne, et c’est la première fois que je sors d’une autobiographie de star en blasphémant autant.

Ceux qui persistent à dire qu’elle est folle devraient plutôt se demander comment elle a survécu à autant de méchanceté de la part de sa propre famille – et du monde entier.

Il y a tellement d’extraits qui ont fuité dans les médias que je me demandais s’il y avait encore quelque chose à lire dans ces mémoires (oui). Notamment son avortement quand elle était avec Justin Timberlake, et qu’on lui demandait si elle était vierge dans les entrevues. Timberlake l’aurait trompée plusieurs fois (elle, une fois), avant de la quitter par texto en 2002, puis de la balancer sous les roues de l’opinion publique avec Cry Me a River, où il se montrait en cœur brisé. Ce qui a beaucoup abîmé l’image et l’estime de Britney, dans une culture où on ne se questionnait pas assez sur le traitement différent qu’on réserve publiquement aux femmes. Avec ce livre, c’est Timberlake qui est en mode « contrôle des dommages » aujourd’hui.

PHOTO MARK J. TERRILL, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Britney Spears et Justin Timberlake, en janvier 2001

« Après la sortie de Cry Me a River, je me faisais huer partout où j’allais, écrit-elle. Justin ne s’est pas arrêté là. Il a dévoilé à la terre entière que nous couchions ensemble. Je me suis alors vu traiter non seulement de traînée, mais aussi d’hypocrite et de menteuse. »

Elle dit ne pas lui en avoir voulu de ce « outing » : « J’étais plutôt contente. J’avais plus de 20 ans, pourquoi persistait-on à vouloir faire de moi une vierge effarouchée ? »

La solitude

Après cette rupture très médiatisée, qui l’a terrassée comme seule peut le faire la première peine d’amour, une mécanique morbide semble s’être mise en place autour de Britney Spears, qui fait penser à ce que décrit Emmanuelle Pierrot dans son roman La version qui n’intéresse personne. Le monde est devenu sans pitié envers Britney Spears, qui a internalisé le message. « Justin avait monté tout un scénario dans lequel je passais pour la méchante et moi, j’y ai cru. Résultat, depuis, c’est comme si j’étais victime d’une malédiction. »

Ce qu’on constate alors est l’extrême solitude de Britney Spears, une très jeune femme qui travaille fort depuis l’enfance à vouloir plaire à tout le monde. À ce moment-là, elle n’a pas vraiment d’amis, et sa famille est, disons-le, atroce.

Père alcoolique et tyrannique, mère complice et opportuniste, un frère et une sœur qui n’auront pas de solidarité envers elle. Car tous vont profiter pendant 13 ans de la tutelle, tandis que Britney travaillera comme une bête, alors qu’elle est censée être inapte.

C’est surtout ça que je voulais savoir, bien plus que ses liaisons avec des gars connus : comment la tutelle s’est refermée comme un piège sur elle. Et je dois dire qu’elle le raconte assez bien, probablement parce qu’elle-même cherche à comprendre pourquoi sa famille l’a traitée aussi cruellement, avec l’aide de l’opinion publique.

Je dois résumer, pour éviter que cette chronique soit interminable, mais quand on a vu Britney sombrer en 2007, il y avait tout un contexte. Encore secouée par le traitement post-Timberlake, elle tombe amoureuse de Kevin Federline, avec qui elle aura deux enfants en moins de deux ans, tandis que les paparazzis deviennent de plus en plus féroces. Elle reconnaît avoir eu une dépression postnatale, quand Federline la délaissait avec deux bébés, dans son rêve de lancer une carrière artistique qui n’a jamais décollé. Rupture inévitable, ils se battent pour la garde des enfants, elle craint de les perdre, elle est en colère et se rase la tête pour envoyer paître la planète entière ; c’est la descente, mais là-dedans, elle estime avoir réalisé le meilleur album de sa carrière : Blackout.

Le piège

Alors qu’elle touche le fond, sa mère publie ses mémoires et est invitée sur les plateaux de télévision. « J’avoue avoir pas mal régressé. Pourtant, si je réfléchis à mes actes les plus terribles à cette époque, je ne crois pas avoir fait pire que ma mère avec son livre et la promotion qui a suivi. » Outch.

Puis le père débarque avec une tutelle, en total conflit d’intérêts, elle l’apprendra plus tard. Elle en conclut qu’aux yeux de ses parents, elle était « visiblement venue au monde dans le seul but d’alimenter leur compte en banque ».

Pourquoi acceptera-t-elle la tutelle, levée en 2021, sans connaître ses droits ? Pour voir ses enfants. « J’étais prête à sacrifier ma vie pour eux. Alors pourquoi ne pas sacrifier ma liberté ? » Et ce père dont elle a peur depuis toujours lui balancera, une fois qu’il aura tous les pouvoirs : « Britney Spears, désormais, c’est moi. »

C’est d’une violence inouïe. Un exemple parmi d’autres des abus : ce père, qui la trouve toujours trop grosse, lui impose un régime. « Pendant deux ans, donc, je n’ai quasiment rien mangé d’autre que du poulet et des légumes en conserve. Deux ans, c’est long, quand on ne peut pas manger ce qu’on veut, surtout quand c’est votre corps et votre âme qui font vivre tout votre entourage. Deux ans à réclamer en vain des frites. J’ai trouvé cela profondément dégradant. »

Pendant 13 ans, elle est surveillée en permanence et n’a plus aucune liberté. Mais on lui fait enchaîner les contrats, les tournées, les résidences à Las Vegas, pendant que la famille profite de la vie aux frais de la princesse. Et si elle se rebiffe, elle le paye très cher. Ce qui fera déborder le vase est une longue hospitalisation forcée, pas très longtemps après ce moment incroyable, quand elle est passée tout droit sans rien dire aux médias lors de l’annonce de son nouveau spectacle à Vegas. On ne le savait pas alors, mais c’était un moment de rébellion. Elle n’en pouvait tout simplement plus de monter sur scène.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Britney Spears en spectacle à Montréal, en 2011

« Avec le temps, ma flamme s’est éteinte. Mon regard s’est terni. J’étais persuadée que mes fans s’en rendaient compte, même s’ils ne se doutaient pas de ce qui se passait. » Elle a raison, car il n’y avait pas plus triste dans le showbiz que les yeux de Britney Spears dans les années de sa tutelle. « Je suis devenue un robot. Une sorte d’enfant-robot. On m’avait tellement infantilisée que j’étais en mille morceaux ; je ne savais plus trop qui j’étais. »

Le titre La femme en moi peut sonner quétaine, mais il est assez approprié pour l’interprète de I’m Not a Girl, Not Yet a Woman. On s’en fout s’il y a eu de l’aide derrière l’écriture de ce livre, car on entend Britney Spears. Et on la croit.

La femme en moi

La femme en moi

JC Lattès

285 pages