J’ai récemment écrit que plusieurs excellentes séries ont passé dans le beurre, complètement noyées ou diluées dans l’offre extra-abondante de l’automne télévisuel québécois. Après le déluge de Noovo en incarne l’exemple parfait.

Cette œuvre audacieuse et crue de la réalisatrice et scénariste Mara Joly méritait une meilleure cote d’écoute que les 176 000 personnes qui l’ont visionnée, en incluant les enregistrements. C’est trop peu.

Sur Netflix, Après le déluge aurait sûrement connu une carrière plus florissante. Sur Noovo, c’est comme si elle n’avait pas existé, malgré des critiques élogieuses et un gros buzz médiatique.

Était-ce trop intense, trop urbain, trop niché ou trop confrontant pour une clientèle plus traditionnelle ? Peut-être.

Campée dans un quartier chaud et multiethnique de Montréal, Après le déluge réunissait pourtant plusieurs éléments gagnants pour se démarquer des autres téléséries en ondes. D’abord, elle mettait au premier plan des têtes d’affiche inconnues (et talentueuses), ce que réclament de nombreux téléspectateurs tannés de toujours voir les mêmes acteurs, à toutes les antennes, dans tous les téléromans.

Ensuite, elle racontait une histoire captivante, celle de quatre jeunes délinquants, dont trois enfants d’immigrants, pris sous l’aile de la policière Maxime Salomon (Penande Estime), également entraîneuse d’arts martiaux mixtes (le fameux MMA).

IMAGE FOURNIE PAR NOOVO

Erika Suarez dans la série Après le déluge

Les six épisodes, diffusés les jeudis à 21 h, renfermaient du suspense et nous immergeaient dans un univers rarement dépeint à la télé québécoise, celui des Noirs et des Latinos qui se débattent pour se sortir de la violence et de la pauvreté. Pensez au Montréal-Nord – ou au Saint-Michel – des gangs de rue.

Les nombreuses qualités d’Après le déluge, une émission à la fois dure et lumineuse, n’ont toutefois pas ravi le cœur des téléspectateurs. C’est décevant.

Perso, j’ai adoré Après le déluge, et vous pouvez la rattraper gratuitement sur le site web de Noovo (ou par la plateforme Crave, pour les abonnés payants). Vous allez y découvrir des personnages tordus et complexes, oui, mais attachants dans leur détresse et leur vulnérabilité.

Ma préférée a été Eva Ramos-Batista (Erika Suarez), une jeune femme d’origine cubaine qui épaule ses parents dans l’entreprise familiale de ménage, mais qui court après l’amour et l’argent. Allumée, débrouillarde et charmante, Eva a caché un secret qui, une fois révélé, l’a rendue encore plus sympathique.

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Penande Estime et Blanche Masse dans une scène d’Après le déluge

La meilleure amie d’Eva, l’intense Dylane (Blanche Masse), m’a fait sacrer pendant six semaines, cibole. Cette ado de 17 ans, impulsive et colérique, a pris les pires décisions et à la fin du quatrième épisode, dans une scène choc que je ne divulgâcherai pas, on comprend que son cas ne s’améliorera pas.

Cet élément délicat du scénario, qui implique son grand frère Jimmy (Karl Walcott) et sa mère bipolaire Pascale (Marilyse Bourke), a été abordé avec la prudence nécessaire. C’est rare qu’une série québécoise s’aventure sur ce terrain tabou qui se résume à : quelle famille tordue et fuckée que celle de Dylane.

La deuxième saison d’Après le déluge, qui a été confirmée par Noovo, dissipera sans doute le mystère entourant Jay (Steve Diouf Felwin), que son entourage soupçonne d’être gai. Ce n’est pas mentionné de façon explicite dans le texte, mais Jay est plutôt né dans le mauvais corps. Comprendre : c’est un personnage trans.

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Steve Diouf Felwin dans une scène d’Après le déluge

L’information a été glissée, subtilement, à la fin du deuxième épisode. Quand Jay préparait sa fuite, sa maman (Djennie Laguerre) lui a offert la robe de mariage de sa grand-mère, qu’elle avait ajustée pour lui. « C’est magnifique », a observé Jay en plaçant le vêtement blanc près de son corps. « Tu es magnifique, ma fille », a répondu la mère avant de se mettre au lit. La transidentité de Jay n’a plus été abordée par la suite.

Le personnage du joueur de football universitaire, le preppy Vincent (Samuel Gauthier), a lui aussi montré une belle palette de nuances. On le croyait égoïste, gâté et écervelé, on a découvert un jeune homme sensible capable de s’affirmer et d’admettre ses torts.

Bien sûr, la patrouilleuse d’origine haïtienne Maxime Salomon, en couple avec une autre femme à la peau foncée (Leila Donabelle Kaze), a permis à Après le déluge de parler de profilage racial et d’interventions dangereuses faites auprès des communautés noires, sans que ça ne se transforme en pamphlet militant.

OK, certains d’entre vous râlent probablement, à ce stade-ci : « bon, un trans, des Noirs, deux lesbiennes, encore une série de wokes » ! Pas du tout. Il s’agit simplement d’une bonne histoire, bien racontée et bien réalisée.

Et difficile de faire plus moderne qu’Après le déluge. La série se déroule majoritairement en français, avec des détours (sous-titrés) en anglais, en espagnol et en créole. Il y a un bar clandestin tenu par Stella (France Castel), où se tiennent des criminels. Les personnages vapotent, fument du pot, ingèrent des drogues de rue et s’ouvrent des comptes sur OnlyFans. Ils vivent dans des appartements qui ressemblent à de vrais appartements de Montréalais qui ne roulent pas sur l’or, loin de là.

La trame sonore y est éclectique, pulsante et tonique, bref, Après le déluge possédait tous les atouts pour faire un gros splash cet automne.

Alors pourquoi a-t-elle coulé dans les sondages d’écoute ?