Enfin, nous avons droit à un véritable portrait du nouveau paysage radiophonique ! Une étude dévoilée ce lundi que j’ai lue avec un plaisir non dissimulé brosse un tableau juste d’une industrie qui vit de grands bouleversements.

Réalisée à la demande de la RAI (l’équivalent de Radio-Canada en Italie), l’étude s’appuie sur des données provenant de plusieurs pays. Une version adaptée à la réalité nord-américaine et québécoise a été préparée par Pôle Médias HEC Montréal. Elle a pour titre Les habits neufs de la radio.

« La radio est en train de vivre exactement ce que la télévision a vécu il y a 20 ans », m’a dit Sylvain Lafrance, directeur de Pôle Médias HEC qui, avec sa collègue Louise Hélène Paquette, est l’un des auteurs de l’étude. « Elle fait face à une pluriconcurrence qui s’est développée à la vitesse de l’éclair. »

D’emblée, les auteurs disent que ce que nous appelons encore « la radio » a été remplacé par un écosystème audio qui multiplie les codes et les moyens de diffusion. Téléphone, ordinateur, tablette, voiture, télévision, haut-parleur intelligent… Cet univers audio nous parvient de diverses façons.

Avez-vous encore une bonne « vieille radio » à la maison ? Il semble que cet objet soit en voie de disparition. La voiture (nouveau centre d’infodivertissement) demeure l’endroit numéro 1 où l’on écoute la radio.

Mais en 2021, le téléphone et l’ordinateur se sont emparés respectivement de la 2e et de la 3place des moyens qui nous permettent d’avoir accès à l’audio. L’appareil radio classique occupe maintenant la 4position.

Plus d’appareils, ça veut dire plus d’accessibilité. Plus d’accessibilité, ça veut dire plus d’écoute. En 2024, les Canadiens vont consacrer 45 minutes d’écoute de plus par jour à des contenus radio ou audio qu’en 2012.

La révolution de la balado

Qu’on se rassure, la radio traditionnelle telle qu’on la conçoit depuis près d’un siècle demeure la reine du direct. Et la vache à lait pour les propriétaires de réseaux, même si les revenus publicitaires ne cessent de diminuer. Quatre-vingt-six pour cent des Canadiens écoutent encore la radio AM/FM sur une base hebdomadaire.

Il faut toutefois savoir que le quart de ces gens sont des audinautes (adeptes du streaming), une catégorie d’auditeurs séduits par le phénomène de la balado. « Il n’y a plus de barrières dans le monde de l’audio, dit Sylvain Lafrance. Un journal qui lance une balado n’a pas besoin d’aller devant le CRTC », ajoute-t-il en citant l’exemple du New York Times et de La Presse.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Enregistrement d’un épisode de la balado de La Presse Juste entre toi et moi, avec Katherine Levac et le journaliste Dominic Tardif

Aujourd’hui, la plupart des radios isolent et diffusent des segments de leurs émissions sur diverses plateformes. Certaines radios web conçoivent même leur contenu en fonction de cela. QUB radio est le meilleur exemple québécois de ce phénomène.

Quand on voit des personnalités comme Denis Lévesque, Marie-Claude Barrette ou Winston McQuade contourner l’industrie en produisant des balados filmées qu’elles offrent sur diverses plateformes, on voit bien que cette avenue démocratise largement l’industrie.

Mais attention, le nombre de productions de balados a connu une certaine « contraction ». Certains grands acteurs ont ralenti la cadence. Après tout, il n’y a que 24 heures dans une journée, note l’étude.

La montée du livre audio

L’autre phénomène observable est la montée fulgurante des livres audio. Alors que la taille du marché mondial de ces produits était évaluée à 7,1 milliards (CAN) en 2022, elle devrait maintenir un taux moyen de croissance annuelle de 26,3 % entre 2023 et 2030.

On le voit bien, les auditeurs recherchent le son des voix et un contenu qui se démarque des autres. Sylvain Lafrance et Louise Hélène Paquette ont d’ailleurs eu l’idée de communiquer les données de cette étude en lisant la chronique où j’écrivais que les radios personnalisées ayant un contenu parlé rapportent davantage que celles qui sont basées sur un contenu musical et une animation humoristique.

Lisez la chronique « Les radios personnalisées rapportent »

L’étude s’intéresse évidemment à l’aspect démographique de cette industrie. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que les jeunes ne consomment pas l’audio de la même façon que leurs aînés. Ils ont un appétit plus grand (19 minutes de plus que les 25 ans et plus). Cela s’explique par leur habitude de se tourner vers diverses plateformes pour faire des achats en ligne, visiter les réseaux sociaux et s’adonner aux jeux vidéo.

Les auditeurs, particulièrement les jeunes, aiment écouter de la musique. Mais attention, ils aiment de plus en plus le faire avec des « curateurs », des spécialistes qui vont les guider, comme le font ICI Musique ou les chaînes musicales de la BBC ou de Radio-France.

Un danger pour notre culture

Un segment important de l’étude porte sur la dématérialisation de la musique et des ravages que cela cause pour les artistes. Les services de musique en continu comptaient 524 millions d’adeptes dans le monde à la fin de 2021. Aux États-Unis, 65 % d’entre eux payaient pour écouter de la musique.

Mais le chiffre qui tue est celui-ci : 89 % des revenus vont aux plateformes numériques de téléchargement ou d’écoute en continu. Bref, seuls les artistes les plus populaires évoluant dans un grand bassin de population réussissent à bien vivre des redevances qu’on leur offre.

Dans un tel contexte, comment un artiste québécois peut-il espérer vivre de son art ? C’est là que l’étude aborde le danger qui menace notre identité culturelle. Comment maintenir en vie une langue qui est en déclin à l’intérieur et à l’extérieur du Québec alors que le contenu américain jouera les sirènes ?

La société québécoise est de plus en plus plurielle. Si on veut protéger la langue française, il faut avoir du contenu audio aussi fort que celui de la télévision. La radio a toujours été rassembleuse et elle doit continuer de l’être dans le nouveau paysage.

Louise Hélène Paquette

L’étude recense une foule de stratégies adoptées par les grands réseaux, privés ou publics, pour s’adapter à cette nouvelle réalité. Pour certains, il faut redonner une vigueur à la présence régionale, pour d’autres, cela passe par une séduction du jeune public ou l’exploitation de la radio visuelle.

« Il va toujours y avoir de la place pour des radios traditionnelles, comme c’est le cas avec la télé, pense Sylvain Lafrance. Mais à long terme, il va y avoir une atomisation de l’écoute. À la place des dirigeants, je serais nerveux, mais je me dirais qu’il faut que je bouge. »

Les dernières pages de l’étude multiplient les mots « développer, recruter, repenser, innover ». C’est par l’innovation que la radio vivra sa propre révolution. Et c’est en redevenant des pionniers que ses dirigeants la mèneront au front. C’est un peu cela que nous dit l’étude.

« La radio ne meurt pas, elle se transforme », écrivent les auteurs.

En effet, alors que la voix semblait en déclin, elle connaît une sorte de renaissance. Tout de même étonnant (et rassurant) de découvrir cela. À l’ère des technologies qui ont tendance à nous isoler de plus en plus, on a plus que jamais besoin d’entendre des voix provenant… de ces technologies.

Cela prouve que l’être humain aura toujours ce besoin inexplicable d’écouter ses pairs, quoi qu’il advienne.

Lisez l’étude Les habits neufs de la radio

Quelques chiffres

  • Plus des trois quarts (77 %) des Canadiens consomment chaque mois des contenus audio en ligne. Chez les 18-34 ans, c’est la quasi-totalité (95 %).
  • Au Canada, on observe une croissance moyenne annuelle des balados de 12 % et des livres audio 2,5 % depuis dix ans.
  • Le tiers des Canadiens (36 %) écoutent des balados. Cette proportion monte à 56 % chez les 18-34 ans.
  • Les radiodiffuseurs canadiens ont perdu 518 millions en revenus publicitaires en 10 ans (- 5 % du côté anglophone et - 3,6 % du côté francophone).
  • Au cours des sept dernières années, les revenus publicitaires des balados ont connu un taux de croissance de 50 % par année pour s’établir à 2,3 milliards en 2022 aux États-Unis.