(Ottawa) La tentative de la sénatrice Julie Miville-Dechêne d’encadrer la négociation des ententes de partage de revenus entre les géants du web et les médias d’information comme en Australie a échoué. Le gouvernement a fait savoir qu’il rejetait deux des dix amendements au projet de loi C-18 soumis par le Sénat la semaine dernière.

« Je ne suis pas surprise, a-t-elle réagi. Le gouvernement avait été assez clair sur le fait qu’il allait rejeter cet amendement. Je dois vous dire que je suis un peu perplexe par l’explication qu’il y a dans le message. »

Ses deux amendements visaient à reconnaître que les médias tirent eux aussi un avantage lorsque leur contenu est diffusé sur les plateformes numériques et que la valeur de cet avantage devrait faire partie des négociations pour les ententes de partage de revenus avec les géants du web.

Elle voulait ainsi clarifier le contenu des négociations des ententes de partage de revenus comme l’Australie l’avait fait. « C’était la façon de faire dans le code australien, a-t-elle expliqué. Donc, c’est notre modèle et il me semblait que ça manquait de clarté de n’avoir aucun objet dans les négociations. »

Dans le message qui sera envoyé au Sénat après un débat à la Chambre des communes lundi, le gouvernement estime « qu’ils minent les objectifs du projet de loi » pour la conclusion d’accords équitables « et qu’ils réduisent la portée du processus de négociation ».

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a indiqué que son gouvernement avait accepté le reste des amendements du Sénat « qui font en sorte que les géants du web payent leur juste part pour les nouvelles locales, régionales et nationales qu’ils utilisent sur leurs plateformes ».

Le gouvernement accepte notamment un amendement pour retarder l’entrée en vigueur du projet de loi de six mois après la sanction royale, un autre pour qu’un média puisse se soustraire de ce nouveau régime et d’autres pour que C-18 s’applique aux médias de langue officielle minoritaire, aux médias autochtones ou à ceux qui sont destinés aux communautés noires et racialisées.

« Depuis 2008, il y a près de 500 médias, de salles de nouvelles qui ont fermé leurs portes à travers le pays. Ça, c’est dans 335 communautés différentes, alors il n’y a probablement aucun député ou presque pas où il n’y a pas eu de fermeture de salles de nouvelles dans leur comté. Ça nous affecte tous », a-t-il déclaré lors de son discours en chambre lundi.

« Nous sommes très préoccupés par la voie sur laquelle nous nous engageons et nous cherchons de toute urgence à travailler avec le gouvernement pour trouver un compromis qui éviterait un résultat négatif pour les Canadiens », a réagi le porte-parole de Google au Canada, Shay Purdy. Google avait limité l’accès aux nouvelles à environ 1 million d’utilisateurs au Canada l’hiver dernier avant de faire marche arrière. Meta l’a imité au début du mois.

Un vote sur le message du gouvernement au Sénat aura lieu à la Chambre des communes au cours des prochains jours, mais on s’attend à ce qu’il passe avec l’appui du Nouveau Parti démocratique et du Bloc québécois. Il sera ensuite envoyé au Sénat, où il pourrait être adopté d’ici jeudi.

« On va s’assurer que C-18 soit adopté le plus rapidement possible. Je pense que ça fait assez longtemps que ça dure », a commenté le député bloquiste Martin Champoux, en mêlée de presse.

« Il y a quelque chose de suspect dans les compressions de 1300 postes chez Bell Média juste avant que le projet de loi ait force de loi », a avancé le député conservateur et ex-journaliste sportif Kevin Waugh, en mêlée de presse lundi. Les conservateurs, qui sont contre C-18, estiment que seuls les grands médias comme CBC/Radio-Canada, Rogers et Bell Média seront gagnants.

Plusieurs médias ont annoncé des compressions depuis le début de l’année, dont Bell Média mercredi dernier. Google et Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, accaparent la grande majorité des revenus en ligne, et cette perte de revenus publicitaires fait mal aux salles de nouvelles.

Le gouvernement estime qu’entre 450 et 500 médias pourraient être admissibles à la négociation d’ententes avec les deux géants du web après l’adoption du projet de loi.

L’absence de contenu de nouvelles sur Facebook a commencé à être remarquée par les utilisateurs la semaine dernière, à quelques jours de son adoption finale. Or, si l’accès aux nouvelles est bloqué de façon permanente une fois la loi en vigueur, Meta n’aura pas à conclure des ententes avec les médias, avait confirmé le cabinet du ministre Rodriguez la semaine dernière.

« Le Canada est un petit joueur, mais qui en ce moment sert un peu d’exemple pour Google et Facebook, fait remarquer la sénatrice Miville-Dechêne. C’est vraiment une joute assez difficile, vous le voyez. Je ne sais pas si c’est du bluff ou non. »

Les deux géants du web accusent le Canada de nuire à la gratuité de l’internet en imposant un prix sur des hyperliens. Le directeur parlementaire du budget avait estimé que les médias d’information pourraient ainsi récolter 330 millions.

Meta a déjà conclu des ententes avec 18 médias, dont Le Devoir, les six quotidiens des Coops de l’information et le Toronto Star en 2021.