L'État a adopté une loi semblable au projet de loi C-18

La Californie vient d’adopter une loi de partage des profits avec les médias des plateformes numériques, bien que les deux plus connues, Meta (Facebook) et Google (Alphabet), y aient leur siège social.

Leurs pressions n’ont pas empêché l’Assemblée de l’État de Californie d’adopter une loi semblable au projet de loi canadien C-18, le 1er juin dernier.

Le California Journalism Preservation Act a été soutenu par une importante majorité bipartisane de 55 voix contre 6.

« Les républicains et les démocrates l’appuient, ce qui est rare, même dans un État comme la Californie », commente le professeur de journalisme à l’Université du Québec à Montréal Jean-Hugues Roy.

L’Australie avait tracé la voie avec une loi similaire adoptée en février 2021, après que Facebook avait là aussi tenté d’infléchir la volonté des parlementaires.

Comme la loi australienne, la nouvelle loi californienne et le projet de loi canadien ont pour objectif de redistribuer aux médias numériques une partie des profits que réalisent les plateformes sociales en relayant leurs contenus.

« Les objectifs généraux sont les mêmes, mais le chemin pour atteindre ces objectifs est un peu différent », observe Jean-Hugues Roy. Il a parcouru la loi californienne pour la comparer au projet de loi canadien, qui devrait franchir l’étape de la troisième lecture cette semaine, en vue d’une adoption avant l’ajournement estival du Parlement.

Pas de représailles

La loi californienne stipule qu’une plateforme numérique ne peut exercer de représailles à l’encontre d’un « fournisseur de journalisme numérique admissible » qui a fait valoir ses droits, par exemple en refusant d’indexer le contenu de ce fournisseur.

Le projet de loi canadien prévoit des mesures similaires, relève Jean-Hugues Roy. « Une fois que C-18 devient une loi, Facebook ne pourrait plus se venger et pénaliser les médias en retranchant des contenus. »

Mais le danger vient d’ailleurs.

Une faille potentielle

Le professeur de journalisme craint que les géants numériques trouvent une faille dans les murailles canadiennes et américaines.

« Le projet de loi C-18 s’applique à des intermédiaires de nouvelles numériques. Meta, en retranchant l’information des médias canadiens, est en train de dire : nous ne sommes plus des intermédiaires de nouvelles numériques parce que nous n’avons plus de nouvelles sur notre plateforme. Le projet de loi C-18 ne s’appliquera donc plus à nous. »

Il y voit le risque que l’information de qualité disparaisse des plateformes sociales, laissant toute la place à la mésinformation, à la désinformation, « [aux] chatons et [au] contenu religieux ».

Des fonds canalisés

La loi californienne exige que le « fournisseur de journalisme numérique admissible » dépense au moins 70 % des fonds qu’il recevra au bénéfice de ses journalistes et de son personnel de soutien – une prescription absente du projet de loi canadien.

« Donc, 70 % des fonds reçus doivent être consacrés à l’information, commente Jean-Hugues Roy. Ce n’est pas beaucoup. Les 30 % restants vont-ils aller dans les poches des actionnaires ? »

Faire rapport

Selon la loi californienne, les médias bénéficiaires des fonds doivent faire rapport de leur utilisation.

« Je trouve ça vraiment intéressant, indique le professeur. Combien d’argent ont-ils reçu ? De qui ? Qu’est-ce qu’ils en ont fait ? C’est une transparence qu’on n’a pas au Canada avec le projet de loi C-18, et que je trouve importante. »

La loi californienne vise large

La loi californienne ne nomme ni Meta ni Alphabet, mais elle énumère plusieurs critères qui lui assujettissent une plateforme numérique.

L’un de ceux-là : la plateforme compte au moins 1 milliard d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde.

« Est-ce que ça s’appliquerait à TikTok ou à LinkedIn ? s’interroge Jean-Hugues Roy. Ils semblent ratisser plus large que le projet de loi C-18. Meta et Alphabet ne sont pas mentionnées dans le projet de loi, mais les communications du ministère du Patrimoine ont toujours laissé entendre que ça ne s’appliquerait qu’à ces deux entreprises. »

Or, la loi canadienne doit porter large et loin dans le temps. Pas moins de 24 médias québécois ont des comptes sur TikTok, souligne-t-il.

« Ça prend un projet de loi pérenne. Facebook n’est peut-être pas éternel. Il faut que ça puisse s’adapter à d’autres plateformes. »

Trop large, peut-être

Le professeur de l’UQAM craint cependant que les larges critères de la loi américaine puissent faire tomber une part des revenus distribués par les grandes plateformes dans le gousset de sites d’extrême droite comme Breitbart News Network, « parce qu’ils ont des journalistes entre guillemets, qui parlent d’affaires publiques ».

Des règles déontologiques

Par contre, la loi californienne prévoit un garde-fou qui se trouve absent des lois australienne et canadienne.

« Elle s’assure que les médias qui bénéficient de son mécanisme adhèrent à des critères déontologiques, à des critères de professionnalisme journalistique », souligne-t-il.

Quelques faits

Un succès australien

Depuis son adoption en février 2021, le News Media Bargaining Code de l’Australie a assuré le transfert de plus de 200 millions de dollars australiens par année (environ 180 millions CAN) aux médias du pays.

Source : Instruments and objectives ; explaining the News Media Bargaining Code, Rod Sims, Judith Neilson Institute

D’autres pays veulent suivre

Le Royaume-Uni, le Brésil, l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud et la Suisse, notamment, envisagent des lois analogues.

Un recul de Facebook

Bien qu’il demeure le média social le plus consulté, la proportion de Canadiens qui consultent Facebook à des fins d’information est passée de 40 % en 2022 à 29 % en 2023. La proportion de Canadiens qui ne consultent aucun média social pour s’informer est passée de 26 % à 36 %.

Source : Digital News Report 2023 – Synthèse des données canadiennes, Centre d’études sur les médias