Alors que le gouvernement fédéral vante les mesures destinées à réduire le coût de la facture de téléphonie cellulaire des Canadiens, certains affirment qu’il existe un décalage entre ce que paient les consommateurs et le discours entourant la baisse des prix.

Jeudi, le premier ministre Justin Trudeau a suscité la colère des utilisateurs des réseaux sociaux lorsqu’il a publié sur la plateforme X qu’« on a réduit de moitié le coût des forfaits de téléphonie cellulaire, notamment en renforçant la concurrence ».

« On s’attaque aussi aux frais indésirables pour que vous puissiez annuler un forfait ou passer à un forfait moins cher sans frais supplémentaires », a-t-il poursuivi.

Cependant, le message a soulevé des questions, notamment de la part de consommateurs, qui estiment ne pas avoir l’impression de payer moins sur leurs factures de cellulaire qu’il y a cinq ans.

M. Trudeau faisait la promotion d’un plan dans le budget fédéral de la semaine dernière, qui prévoyait que le gouvernement modifierait la Loi sur les télécommunications pour aider les Canadiens à changer de fournisseur d’accès internet et de téléphonie.

Le budget cite des données de Statistique Canada de décembre 2023 qui montrent que les coûts des forfaits de téléphonie mobile ont diminué de 50 % depuis le même mois en 2018.

Les observateurs de l’industrie sont quelque peu divisés quant à l’importance à accorder aux données de l’agence fédérale, qui sont publiées chaque mois dans le cadre de ses publications régulières sur l’Indice des prix à la consommation.

Certains affirment que c’est une preuve évidente de la concurrence sur le marché et que les consommateurs en ont plus pour leur argent grâce à de nouvelles offres, telles que des forfaits de données plus importants, des avantages d’itinérance internationale ou des services de messagerie vocale texte.

« Ce n’est pas parce que vous payez le même montant chaque mois que cela ne représente aucune baisse de prix », fait valoir le consultant en télécommunications Mark Goldberg, qui compare cette situation à « l’achat d’une Lamborghini pour le prix d’une Honda Civic d’il y a cinq ans ».

D’autres soutiennent que même si les clients paient moins par gigaoctet de données, ces offres pourraient inciter les gens à acheter des tranches de données plus importantes que nécessaire. Les services cellulaires sont également souvent associés à la télévision ou à internet, ce qui signifie que les économies pourraient se faire au détriment de l’achat de davantage de choses.

Dwayne Winseck, professeur à l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton, a déclaré que cela reflète la capacité des télécommunications à « présenter quelque chose comme un avantage alors qu’en réalité ce n’est pas le cas ».

« Si vous regardez par gigaoctet de données, les prix sont en baisse absolue, cela ne fait aucun doute, affirme-t-il. Mais les gens obtiennent des données dont, dans de nombreux cas, ils n’ont peut-être même pas besoin et ils doivent payer pour cela, qu’ils en aient besoin ou non. En fin de compte, même si par gigaoctet, les données peuvent être moins chères, à qui cela profite-t-il ? »

Changement de paramètres

M. Winseck a cité une autre mesure qui donne un autre son de cloche : le revenu moyen par utilisateur déclaré par les sociétés de téléphonie mobile.

Selon le CRTC, les télécommunications ont généré en moyenne 67,26 $ de revenus de téléphonie mobile par utilisateur au cours du deuxième trimestre de 2023, contre 64,33 $ au même trimestre de 2016.

« (C’est) vraiment, en fin de compte, la mesure clé ici », mentionne le professeur.

Alors que les plus grands opérateurs du Canada invoquent souvent les données de Statistique Canada sur la baisse du coût des services cellulaires, le gouvernement fédéral semblait auparavant moins enclin à se réjouir sans réserve de ces chiffres.

Par exemple, le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a déclaré en janvier que « même si certains progrès ont été réalisés pour réduire les prix, les Canadiens paient encore trop cher et voient trop peu de concurrence ».

Il a exhorté les transporteurs « à considérer sérieusement les clients plutôt que les bénéfices » à la suite d’informations selon lesquelles certaines entreprises prévoyaient d’augmenter leurs tarifs cette année.

Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’internet et du commerce électronique à l’Université d’Ottawa, a décrit une « déconnexion dans les données » qui a été mise en évidence par la réponse à la publication de M. Trudeau sur les réseaux sociaux.

« Il est vrai que le prix relatif des offres mesurées par Statistique Canada a diminué à mesure que les opérateurs offrent des tranches de données plus importantes, des promotions ou orientent davantage de services vers des frais accessoires “facultatifs” », a-t-il déclaré par courriel.

« Même si cela signifie que vous obtenez des forfaits moins chers, les données financières des opérateurs, mesurées par le revenu moyen par utilisateur, nous révèlent la réalité. Les Canadiens dépensent plus en services sans fil qu’il y a cinq ans. Les prix canadiens sont élevés par rapport aux autres pays. »

La promesse budgétaire remise en question

Des observateurs remettent également en question les engagements du budget fédéral destinés à contribuer à réduire les coûts des télécommunications à l’avenir.

Le document indique qu’à la suite des modifications proposées par Ottawa à la Loi sur les télécommunications, « le CRTC interdira aux entreprises de facturer des frais supplémentaires aux personnes qui changent de fournisseur de services ».

Toutefois, selon M. Goldberg, il existe déjà des protections en place qui empêchent une entreprise de téléphonie mobile de pénaliser les clients qui changent de fournisseur.

Celles-ci sont contenues dans le Code sur les services sans fil. Ce code de conduite obligatoire a été créé par le CRTC en 2013 et il s’applique à tous les fournisseurs de services.

Le code stipule que si un client annule un contrat avant la fin de la période d’engagement, le fournisseur de services ne doit facturer au client aucun frais ou pénalité autre que d’éventuels frais d’annulation anticipée.

Ces frais d’annulation anticipée ne sont pas non plus applicables en cas d’annulation du service après 24 mois.

« Depuis 2013, il n’y a pas eu de pénalités significatives en cas de résiliation anticipée d’un contrat, expose M. Goldberg. Les seuls frais qui entrent en jeu sont que si vous avez un accord pour que votre fournisseur de services finance l’appareil et que vous quittez ce fournisseur de services plus tôt, le solde restant est dû. »

Questionné à savoir si la proposition budgétaire du gouvernement était redondante, un responsable du ministère des Finances a reconnu « qu’il existe déjà d’importantes protections dans le Code sur les services sans fil ».

« Ces ajustements pourraient compléter ou renforcer ces protections », a mentionné Benoit Mayrand dans un courriel.

« En ce qui concerne les frais spécifiques et la mise en œuvre, le budget 2024 indique que le CRTC mettra en œuvre ces changements à la suite de consultations sur des exigences spécifiques. La confirmation des exigences précises et des modifications suivra ce processus », a-t-il expliqué.