Michel Côté est l’exemple suprême de l’acteur caméléon. Rarement ai-je vu un artiste capable de faire rire autant que d’émouvoir comme il l’a fait pendant 40 ans. Il fut bouleversant dans C.R.A.Z.Y., hilarant dans Cruising Bar et De père en flic, troublant dans Omertà, poignant dans Le dernier tunnel et désopilant dans La petite vie.

Michel Côté savait être tout cela et il l’était toujours au superlatif. Le Québec perd aujourd’hui un acteur avec un grand A.

Dans le milieu, on l’appelait gentiment « Monsieur Box-office ». Mais avant de faire tinter les caisses enregistreuses, Michel Côté savait donner de l’étoffe aux personnages qu’on lui offrait. C’est ce que les réalisateurs et les metteurs en scène voulaient de lui. Et ils étaient bien servis.

Émile Gaudreault (De père en flic, Le sens de l’humour) m’a souvent décrit l’immense plaisir qu’éprouve un réalisateur d’avoir un tel Stradivarius entre les mains.

Caméléon, Michel Côté l’a été également dans les moyens d’expression qu’on mettait à sa disposition. Il crevait l’écran autant qu’il brûlait les planches, toujours avec le même panache. Il maîtrisait aussi bien l’art du cinéma que celui du théâtre, ce qui n’est pas donné à tous les acteurs. Ces deux formes d’art ont des codes bien distincts. Michel Côté avait appris à les comprendre et à les assimiler.

Ce comédien hors norme a mené sa carrière sans aucune forme de snobisme. Contrairement à d’autres confrères, il n’a jamais levé le nez sur la comédie, le « cinéma populaire » ou le « théâtre grand public ». Cela ne veut pas dire qu’il acceptait toutes les propositions. Mais quand la qualité était présente, il plongeait dans ce nouveau défi en y mettant tout son talent, toute sa passion.

Très souvent, on va dire d’un artiste qu’il est un gentleman. Cette étiquette est malheureusement accordée trop facilement. Mais dans le cas de Michel Côté, cela est archivrai. Tous ceux qui l’ont connu peuvent en témoigner. Je pourrais aussi dire la même chose de ses camarades de Broue, Marc Messier et Marcel Gauthier.

Jeune animateur de radio, dans les années 1990, j’ai vécu une expérience qui témoigne de la grandeur d’âme de ce trio. J’ai un jour accueilli à une émission que j’animais un groupe de comédiens à la carrière naissante qui jouaient dans un film promis à un grand succès.

Comme ils avaient enfilé les entrevues toute la journée et que j’étais le dernier sur la liste, ils sont arrivés dans mon studio complètement saouls. Le moment fut très désagréable pour moi qui n’arrivais pas à leur faire dire des choses intelligentes. Les trois comparses préféraient blaguer entre eux en se foutant des auditeurs.

Quelques jours plus tard, j’ai reçu les trois comédiens de Broue. Même si tous les billets des représentations programmées étaient vendus, ils avaient eu la gentillesse d’accepter mon invitation. Ils en étaient probablement à leur 600e entrevue au sujet de cette pièce qui roulait depuis de nombreuses années. Mais ils en ont parlé comme si c’était la première fois. Ça m’a scié en deux.

Michel Côté respectait ceux qui lui permettaient de faire son métier, et cela allait des créateurs jusqu’au public, en passant par les journalistes et l’incontournable machine promotionnelle.

Fidèle en amitié, Michel Côté laisse aujourd’hui derrière lui un grand nombre de cœurs en mille miettes. Ces amis ont été sa bouée au cours de la dure épreuve qu’il a traversée.

Tout comme l’ont été ses fils Charles et Maxime, de même que sa femme, la charmante Véronique Le Flaguais. Cette dernière a pris la peine de venir au lancement du livre que je consacre à sa bonne amie, Clémence DesRochers. C’était le 12 mars dernier. Elle nourrissait alors l’espoir de voir fonctionner la greffe de moelle osseuse que venait de recevoir son homme.

« J’ai toujours été une personne optimiste. J’ai toujours dit à Michel qu’il était un guerrier et qu’il allait s’en sortir », avait-elle alors déclaré à une journaliste présente.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Côté lors du gala hommage, en 2017, avec sa femme, Véronique Le Flaguais

Anti-star, Michel Côté avait le sens de la famille. Dans une entrevue avec Julie Snyder, en 1998, il est touchant de l’entendre parler de ses deux fils devenus adolescents. Il dit regretter la période des câlins et des jeux.

Et il faut regarder l’épisode de Surprise sur prise tourné en 1992 (offert sur YouTube) pour voir le papa sensible qu’il fut. Invité chez un couple d’amis avec sa femme, Michel Côté regarde à la télé son fils Charles participer à une (fausse) édition de Génies en herbe.

D’emblée, il dit qu’il est nerveux et qu’il a chaud. Mais quand il voit que son fils écrase haut la main l’équipe adverse en donnant toutes les bonnes réponses, on voit alors apparaître sur son visage une immense fierté. À un moment donné, il verse même quelques larmes.

Mais à la fin, découvrant que tout cela est un sketch inventé destiné à le piéger, il dit avec beaucoup d’humour à son fils : « Ah non, ça veut dire que t’es encore niaiseux ! »

Ce mélange de sincérité, d’humour et d’émotion, c’est ce que le public québécois a toujours aimé chez Michel Côté. Le « p’tit gars d’Alma » ne s’est jamais pris au sérieux. Mais il a pris très au sérieux ce métier dans lequel il excellait.

Sa voix chaude va nous manquer. Sa façon de sourire aussi. Restent ses films et les nombreux personnages qu’il a interprétés.

Pour plusieurs, Michel Côté est et restera pour toujours l’archétype du père québécois ordinaire, l’attachant Gervais Beaulieu du film C.R.A.Z.Y. qui ne comprend pas pourquoi l’un de ses cinq fils est gai, mais qui ne cesse de l’aimer, malgré tout.

Ce père handicapé d’émotion dira à ses garçons désespérés de porter un smoking à l’occasion d’un mariage : « On est tous habillés pareil et c’est ça qui est beau ! »

Sur papier, cette réplique est d’une grande banalité. Mais dans la bouche de Michel Côté, elle prend l’ampleur qu’elle mérite. C’est ce qui distingue les grands acteurs des autres.