Les organisateurs du Mois de l’histoire des Noirs se sont creusé les méninges pour créer des discussions et des tables rondes sur des thèmes intéressants comme l’innovation entrepreneuriale des communautés noires ou les femmes noires et le pouvoir.

Malheureusement pour eux, c’est une marionnette qui retient toute l’attention.

Ce pantin qualifié de « grotesque » par ses détracteurs apparaît dans le spectacle L’incroyable secret de Barbe Noire que présente depuis 2009 l’homme de théâtre Franck Sylvestre. Cette pièce destinée au jeune public raconte l’histoire d’un garçon qui découvre un mystérieux coffret renfermant un secret vieux de 400 ans. Cela lui permet de reconstituer l’histoire du fameux Barbe Noire.

Cette histoire met en scène un personnage appelé Max, représenté par une marionnette dont l’apparence est inspirée par l’interprète lui-même. Précisons que Franck Sylvestre est d’origine martiniquaise. La marionnette est donc noire. Et elle a des traits caricaturaux, comme c’est souvent le cas avec les marionnettes.

Ce spectacle, qui n’avait fait aucun remous jusque-là, a été programmé à Pointe-Claire (26 février) et à Beaconsfield (27 février). Alertées par des citoyens qui ont jugé que la marionnette offrait une image négative des personnes noires, l’Association de la communauté noire de l’Ouest-de-l’Île (WIBCA) et la Coalition rouge sont montées au créneau. Face au tollé, la municipalité de Beaconsfield a décidé d’annuler la représentation.

Des représentants de ces associations (Joan Lee, présidente de la WIBCA, Joel DeBellefeuille et Alain Babineau, respectivement président fondateur et directeur de la Coalition rouge) ont tenu une conférence de presse vendredi matin à Roxboro. J’ai écouté l’enregistrement. Pour eux, l’apparence de la « poupée » a le même effet qu’un blackface, cette pratique théâtrale basée sur la création d’un maquillage afin de transformer un comédien en personne noire.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Dans l’ordre : le directeur de la Coalition rouge, Alain Babineau ; la présidente de l’Association de la communauté noire de l’Ouest-de-l’Île (WIBCA), Joan Lee, et le président fondateur de la Coalition rouge, Joel Debellefeuille. Les deux groupes de pression ont tenu à dénoncer, vendredi, la marionnette noire du spectacle de Franck Sylvestre.

Le danger dans cette affaire serait de régler la chose en deux coups de cuillère à pot en affirmant que des marionnettes noires, il y en a partout, notamment dans la célèbre série Passe-Partout. Certes, celles-ci sont plus jolies et raffinées que Max. Mais allons-nous déterminer le droit d’existence d’une marionnette en fonction de son esthétique ? C’est ici qu’on s’immisce dans la liberté des créateurs.

Faudra-t-il bannir les poupées représentant des gens des communautés culturelles ? Faudra-t-il éliminer les figurines véhiculant des stéréotypes ? Il est vrai qu’avec ses formes surréelles, Barbie n’est pas appréciée par de nombreuses femmes qui souhaiteraient qu’elle disparaisse de la circulation avec sa Jeep rose et sa collection de souliers.

Cette histoire de marionnette, en apparence banale, nous oblige à nous mettre à la place des autres, celle des minorités ou des groupes vulnérables. Imaginez un instant une marionnette représentant un gai qui serait une folle finie à la Christian Lalancette. Vous diriez quoi ? Imaginez une marionnette représentant une femme blonde avec de gros seins. Vous en penseriez quoi ? Imaginez une marionnette représentant un Québécois avec une chemise à carreaux et une ceinture fléchée. Vous réagiriez comment ?

Oui, la caricature a sa place partout dans l’art. Tout dépend de la façon dont elle s’inscrit dans une œuvre, la façon dont elle nous parvient et, surtout, ce qu’elle véhicule comme message.

Je suis le premier à défendre les intérêts des groupes marginalisés et à tenter de comprendre leur réalité. J’ai récemment défendu les soirées de type black out parce que je trouve que dans la mesure où tout le monde a accès au bout du compte à l’évènement, il n’y a pas de quoi écrire à sa mère.

Mais dans le cas qui nous occupe, fallait-il aller jusqu’à une opération médiatique visant l’interdiction de ce spectacle ? Est-ce qu’une simple alerte doublée d’une véritable discussion nuancée ne servirait pas mieux la cause ?

Je n’ai pas apprécié le ton qu’a eu Alain Babineau durant la conférence de presse. Il a d’abord dit qu’il était heureux de voir que plusieurs médias francophones étaient présents. « La question du racisme est touchy, vous savez », a-t-il dit.

Alain Babineau a plusieurs fois insisté sur le caractère francophone du Québec pour parler du racisme systémique qui, selon lui, règne chez nous.

Quand un journaliste lui a demandé s’il faisait preuve de censure, il a répondu que non et que c’était le choix de la municipalité de Beaconsfield d’annuler le spectacle. « La seule censure, c’est la poupée », a-t-il dit. Euh… si on censure un élément crucial qui fait partie d’un spectacle, on censure le spectacle.

Alain Babineau a été le plus tranchant des trois intervenants. Il répondait aux questions en refermant chaque fois une porte. « Si on vous dit que c’est pas correct, that’s it ! Il n’y a pas de conversation à avoir », a-t-il déclaré avant d’ajouter plus loin : « Si vous êtes ici ce matin pour tenter de nous convaincre de ne rien dire, vous faites partie de la problématique. »

Là où j’ai carrément décroché, c’est quand Joel DeBellefeuille a évoqué le sketch du Bye bye appelé Google Black, qui dénonçait très clairement et avec beaucoup d’humour la difficulté pour les personnes noires de vivre avec le profilage racial. Il a refusé de reconnaître qu’il s’agissait d’une dénonciation et a ajouté qu’on ne pouvait pas rire avec ça. « Quelqu’un m’a dit qu’au Québec l’humour est différent, a ajouté Alain Babineau. It’s not funny ! When are you people going to get it ? »

Ces représentants ont promis de continuer leur lutte afin d’éliminer cette marionnette du spectacle de Franck Sylvestre. Le font-ils de la bonne façon ? J’en doute fortement.

L’angle mort de cette affaire : le spectacle L’incroyable secret de Barbe Noire est présenté depuis 2009. Après 14 ans, une éternité dans notre monde, il serait peut-être temps que le créateur, que j’ai tenté de joindre sans succès, songe à changer de décor et d’accessoires.