La présentation dans l’ouest de l’île de Montréal d’une pièce de théâtre pour enfants mettant en scène une marionnette qui caricature les traits d’une personne noire est un exemple de racisme systémique et un manque de respect envers les Noirs, selon deux groupes qui représentent cette communauté.

La décision de la Ville de Pointe-Claire de maintenir la représentation de L’incroyable secret de Barbe Noire « démontre encore une fois le racisme systémique des instances municipales blanches qui ne voient aucun mal à ce que l’on montre une image grotesque » des Noirs, dénonce Alain Babineau, un des directeurs de la Coalition rouge, un groupe qui dénonce les situations de racisme.

Avec l’Association de la communauté noire de l’Ouest-de-l’Île (WIBCA), la Coalition rouge a tenu une conférence de presse vendredi à Roxboro, dans l’ouest de Montréal, pour dénoncer la présentation de la pièce pour enfants du conteur d’origine martiniquaise Franck Sylvestre, dimanche au Centre culturel Stewart-Hall de Pointe-Claire. Lundi dernier, le conseil municipal de Beaconsfield a décidé d’annuler sa représentation du même spectacle, lundi prochain.

Selon la Coalition rouge et la WIBCA, la marionnette créée par M. Sylvestre s’apparente à un blackface (maquillage en Noir), ce qui nous ramène à l’époque des ménestrels, ces spectacles comiques des années 1800 interprétés par des acteurs blancs qui se noircissaient le visage, puis par des Noirs eux-mêmes, qui tournaient en dérision certains de leurs traits.

Une telle représentation des Noirs est inacceptable en 2023, dit Joel DeBellefeuille, président de la Coalition rouge.

Si monsieur Sylvestre était un homme blanc qui se promenait avec une poupée noire en Amérique du Nord en rigolant, est-ce que ça serait acceptable ? Il faut être sensible à ce que les Noirs ont enduré pendant des centaines d’années. On ne devrait pas avoir à expliquer aujourd’hui pourquoi ce n’est pas correct de présenter une poupée noire avec des grosses lèvres rouges et des grosses dents.

Joel DeBellefeuille, président de la Coalition rouge

Il ne s’agit pas de censurer un artiste, assure Alain Babineau, mais de démontrer une sensibilité à l’histoire des Noirs. « La seule censure, c’est la censure de la poupée, » dit-il.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le conteur Franck Sylvestre

Jeudi, en entrevue, Franck Sylvestre avait dénoncé la « censure » dont il se disait victime de la part des élus municipaux de Beaconsfield qui ont annulé la représentation de sa pièce.

Il avait souligné avoir présenté son spectacle à des audiences noires sans problème dans le passé.

Mais selon M. Babineau, l’artiste contribue à perpétuer le racisme et à déshumaniser les Noirs avec sa marionnette.

Allison Saunders, citoyenne noire de Pointe-Claire, fait partie des personnes qui ont porté plainte auprès de la Ville au sujet de la pièce, qu’elle estime inappropriée pour de jeunes enfants. « C’est ça qu’on veut présenter aux enfants pour montrer qui nous sommes ? », demande-t-elle, ajoutant qu’elle ne se sentait pas la bienvenue dans une communauté qui choisit de mettre un tel spectacle à l’affiche.

Pointe-Claire a l’intention de maintenir la représentation de la pièce dimanche à la bibliothèque municipale, a confirmé vendredi Lucie Lamoureux, porte-parole de la Ville.

WIBCA et la Coalition rouge n’ont pas l’intention de manifester pour perturber le spectacle, mais comptent demander son annulation à la Ville de Gatineau, où une représentation est prévue en mars.

Vendredi après-midi, la représentante de la culture au comité exécutif de la Ville de Montréal, Ericka Alneus, a donné son appui à Franck Sylvestre, en soulignant sur Twitter que l’artiste offre dans son spectacle « son propre regard sur son histoire, son identité ».

« Je comprends que cela peut être sensible, mais le restreindre serait dommageable aux débats nécessaires dans une démocratie, » ajoute-t-elle.

Lisez l’article « La pièce d’un conteur noir censurée à Beaconsfield »