Le ministre québécois de l’Agriculture estime qu’il est temps de lever la « cloche de verre » qui empêche depuis 20 ans les fermes du Québec d’agrandir leurs superficies en culture là où les rivières vont mal.

Depuis 2004, il est interdit d’agrandir les superficies cultivées dans près de 560 municipalités où les bassins versants sont jugés trop dégradés en raison de la pollution au phosphore, un fertilisant issu du lisier.

« Il y a un cadre aujourd’hui qui est comme une cloche de verre à la grandeur du Québec depuis 20 ans, puis qui a fait son temps », a déclaré le ministre André Lamontagne en entrevue téléphonique avec La Presse.

Il faut qu’on trouve une façon de venir reconnaître de façon réglementaire les gens qui ont une contribution positive au lieu d’être négative sur le territoire agricole, puis de leur permettre d’accroître des superficies en culture.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation

Depuis l’automne, Québec consulte différents intervenants du monde agricole, municipal et environnemental dans l’objectif de moderniser d’ici 2026 le Règlement sur les exploitations agricoles.

Un article publié jeudi dans Le Devoir, a rapporté, sous le couvert de l’anonymat, les propos de scientifiques du ministère de l’Environnement se disant sous pression politique pour permettre l’agrandissement des superficies en culture même si divers tests d’eau montrent peu ou pas d’amélioration.

« On ne va pas du tout dans le bon sens, on est en train d’accepter une détérioration », a dit un fonctionnaire au Devoir dénonçant du même coup « une ingérence » dans son travail.

Réaction du ministre Charette

En mêlée de presse à Québec, le ministre de l’Environnement Benoit Charette a indiqué que les modifications apportées au Règlement sur les exploitations agricoles ne se feraient pas au détriment de l’environnement.

« Ce qu’on a pris comme engagement auprès des producteurs agricoles, c’est d’alléger le fardeau administratif. On travaille actuellement avec le MAPAQ à ce niveau-là, mais d’aucune façon on ne veut alléger les exigences environnementales, donc au niveau administratif oui, mais pas au niveau environnemental. »

Le ministre Lamontagne affirme quant à lui qu’il n’a « aucune intention » d’appuyer « un quelconque relâchement » pour les mauvais élèves. « Même, je dois dire, il faut serrer la vis encore de trois tours », a-t-il souligné.

En revanche, il veut « donner un break » aux producteurs reconnus pour « leurs bonnes pratiques ».

« Ceux-là, il faut leur donner une chance, il faut leur donner une opportunité d’accroître. Sinon, c’est les pénaliser éternellement », a-t-il ajouté.

Comment déterminer quelles fermes adoptent les meilleures pratiques ?

« C’est quasiment entreprise par entreprise en fonction de leurs pratiques, de leurs types de culture, de leurs aménagements. Ultimement, ça va être presque entreprise par entreprise, mais il faut partir quelque part », a-t-il répondu.

Il cite les bandes riveraines et les cultures de couverture qui empêchent le lessivage des nutriments dans les cours d’eau.

Dans une déclaration, l’Ordre des agronomes a indiqué être ouvert à remettre des terres en culture « conditionnellement à l’application d’un encadrement réglementaire rigoureux, qui tient compte des différentes réalités des régions ».

De son côté, Équiterre parle d’un exercice d’équilibre. « On n’est pas pour une levée du moratoire qui est mur à mur et qui est sans condition », a souligné Carole-Anne Lapierre, agronome et analyste pour l’organisme.

« La remise en culture […], c’est un incitatif qui est très fort et donc il a le potentiel d’amener tout le milieu agricole à vouloir aller vers ces pratiques agricoles », souligne-t-elle.

Mais c’est aussi un pari qui n’est pas sans risque, dit-elle. « C’est sûr que si on ouvre la porte à des remises en culture, on va devoir être plus exigeants. »