Florent Veilleux était un inclassable, un esprit libre. Il a vécu sa vie à sa façon, empruntant à sa guise les sentiers qui s’offraient à lui. Il nous a quittés le 28 janvier dernier en toute discrétion. Il avait 81 ans.

Pour les amateurs de sculpture et d’art populaire, il fut d’abord ce pataphysicien de génie qui se qualifiait humblement de « gosseux ». Ce « créateur écologique d’œuvres originales luminocinétiques », comme il est écrit dans son avis de décès, a réalisé un grand nombre d’œuvres animées ou robotisées qu’il réalisait à partir d’objets « qui avaient du vécu ».

L’ethnologue et spécialiste d’art populaire Pascale Galipeau, qui l’a bien connu, le décrit comme un « précurseur qui avait trouvé sa propre veine ». « Son œuvre est riche, m’a-t-elle dit en entrevue. On ne sait pas par quel bout la prendre. »

Pascale Galipeau a eu le bonheur de travailler avec Florent Veilleux lors de la présentation de l’exposition Les paradis du monde au musée McCord, en 1997-1998, pour laquelle elle était conservatrice. Une salle entière a été réservée à l’installation Romantisme post-moderne de Florent Veilleux.

« C’était quelqu’un de souriant, sympathique et pas du tout prétentieux, comme le sont souvent les artistes qui s’expriment avec l’art populaire », ajoute-t-elle.

Lors du passage à l’an 2000, Veilleux a été invité à faire vivre une immense vitrine du magasin Tristan & America situé au Rockefeller Center. Il a nommé son installation Le Buggy de l’an 2000. En 2004, l’exposition intitulée Les solutions imaginaires, offerte à la Station C (ancien théâtre Félix-Leclerc), a permis de mieux faire connaître son travail et ses prises de position sociales.

Bien avant plusieurs artistes, Florent Veilleux dénonçait le gaspillage industriel et technologique et, surtout, la folie de la surconsommation qui pénètre dans notre planète comme d’infects comédons géants.

En 2007, une équipe de Radio-Canada (Mange ta ville) avait rencontré le personnage dans son atelier montréalais qu’il avait nommé Imagique. Il avait expliqué ce qu’est la pataphysique et comment il arrivait à détourner le sens et le rôle des objets1.

C’est sa formation d’électrotechnicien qui lui a permis très jeune de s’emparer des mécanismes de certains objets et de les conférer à d’autres. Cet aspect de son travail suscite l’inquiétude chez Pascale Galipeau, qui se demande comment la pérennité de son œuvre sera assurée. « Qui va s’assurer que tout cela fonctionne bien maintenant ? »

Je connaissais Florent Veilleux le sculpteur et le créateur d’œuvres luminocinétiques. Mais j’ignorais qu’il avait d’abord connu une carrière comme auteur-compositeur-interprète en Europe. Heureusement, j’ai pu compter sur l’aide de Sébastien Desrosiers, collectionneur et spécialiste de la musique québécoise (rare et inusitée) pour découvrir cet aspect méconnu de l’itinéraire de Florent Veilleux.

Ce cadet d’une famille de 15 enfants quitte Rivière-du-Loup au milieu des années 1960 pour s’installer à Bruxelles afin d’y faire des études… en médecine. Il gagne sa vie en chantant dans de petits cabarets des chansons de Gilles Vigneault, Claude Gauthier et Félix Leclerc.

Au bout d’un an, en 1965, il déménage à Paris, où il tâte un peu les sciences politiques et la philosophie. Il décroche un contrat à la Contrescarpe, un cabaret de la Rive Gauche, où il tient l’affiche pendant six mois.

Le concours Les relais de la chanson française auquel il participe donne un coup de barre à son destin. Comme il remporte le premier prix, une maison de disques lui met rapidement le grappin dessus. Il grave plusieurs super 45 tours sur lesquels on retrouve ses compositions et certaines d’autres créateurs2.

« On connaît peu ses années comme chanteur, car ses disques ne sont pas disponibles au Québec », m’a expliqué Sébastien Desrosiers qui, au moment de préparer une émission pour CIBL, s’était entretenu avec Florent Veilleux. Un album vinyle intitulé Un Canadien à Paris, regroupant ses grands succès, est paru chez nous en 1968. C’est aujourd’hui une pièce de collection très recherchée.

Au dos, Guy Béart écrit ceci : « Il y a de la fleur dans Florent, de la fleur que l’on glisse au canon d’un fusil. Florent a l’ingénuité de la dynamite. Écoutez-le comme je l’ai écouté, avec le rire du cœur. » Il est franchement étonnant que Florent Veilleux ait connu un succès chez nos cousins français. Il chantait en zozotant, n’hésitait pas à faire de l’humour grinçant et jouait allégrement sur les couleurs locales, particulièrement l’accent québécois. Malgré cela (ou grâce à cela), il foulera les planches de Bobino (avec Félix Leclerc) et celles de l’Olympia.

Parmi les chansons qui ont connu un succès, notons Parapapout (une composition de laquelle il a rapidement pris ses distances), de même que La jeunesse d’aujourd’hui, écrite par Michel Choquette (qui fut reprise par Dominique Michel, de même que Denise Filiatrault et Jen Roger).

« Il m’a confié qu’il aurait voulu faire comme Bourvil et chanter des chansons à la fois réalistes et drôles », m’a dit Sébastien Desrosiers.

Avant son retour au Québec, au début des années 1980, il étire son séjour en France en se tournant vers l’écriture, la mise en scène, la photographie, de même que les effets spéciaux pour le théâtre et le cinéma. Il plonge également dans l’univers des spectacles pour enfants.

Florent Veilleux faisait partie de ces créateurs qui ne cherchent pas la lumière à tout prix, une catégorie de plus en plus rare de nos jours. Espérons que celui qui aimait se définir comme « travailleur culturel » aura droit à quelques rayons de soleil de notre reconnaissance.

1. Regardez l’entrevue de Radio-Canada 2. Regardez l’entrevue de Florent Veilleux à Paris en 1966 Écoutez « C’est les rats qui ont bouffé ma blonde » Écoutez « La jeunesse d’aujourd’hui »