Tous les soirs, vers 23 h, Serge Postigo retire son costume de scène, efface son maquillage en trois ou quatre coups de lingette humide et, après avoir salué ses camarades, enfourche sa trottinette électrique. Et là, à toute allure dans les rues de Paris, il file en direction de Levallois, où il vit depuis des mois avec femme et enfants.

« Après avoir eu chaud pendant deux heures, je respire enfin, me confie-t-il, attablé au fond d’une salle du célèbre Café de la Paix. Je me sens tellement bien. Je suis le roi du monde à ce moment-là. »

Si j’ai tenu à rencontrer Serge Postigo à Paris, c’est que depuis novembre 2021, le comédien et metteur en scène québécois est à l’affiche du spectacle musical Les producteurs, de Mel Brooks, au Théâtre de Paris, qui remporte un énorme succès depuis sa création.

Même si son nom n’est pas plus gros que celui de ses camarades, il faut quand même le dire : Serge Postigo porte en grande partie ce spectacle sur ses épaules. Et le fait avec brio !

Comme cela arrive souvent dans le monde des arts, la façon dont il a décroché ce rôle est le fruit d’un alignement des planètes. Un soir qu’il dégustait un repas au restaurant avec sa conjointe, la chanteuse et comédienne française Karine Belly, celle-ci a reçu un message annonçant des auditions pour une première production française des Producteurs, qui fut d’abord un film en 1968.

Je l’ai encouragée à y aller, car elle avait toujours rêvé de jouer Ulla, le personnage féminin du spectacle. Elle m’a répondu qu’elle n’avait plus l’âge pour ce rôle, mais que moi, je devrais auditionner pour celui de Max Bialystock. Je me suis dit que j’étais un nobody en France et que je n’avais aucune chance de l’avoir.

Serge Postigo, acteur et metteur en scène

Serge Postigo fait quand même parvenir une vidéo dans laquelle il interprète la chanson This Is the Moment. À sa grande surprise, il est convoqué en audition. Quelques jours plus tard, alors qu’il est sur une plage avec son fils, il reçoit un appel lui confirmant qu’il a le rôle.

Nous sommes alors en mars 2020. Un peu partout dans le monde, les théâtres éteignent leurs néons un à un. Serge Postigo doit mettre en veilleuse la préparation de ce rôle, en compagnie du metteur en scène Alexis Michalik.

Une comédie avec le Führer

Le personnage qu’interprète Serge Postigo, Max Bialystock, est un producteur de Broadway au bord de la faillite qui décide de monter un spectacle d’une nullité sans fin intitulé Des fleurs pour Hitler. Le producteur-gigolo (il soutire de l’argent à de vieilles maîtresses pour financer ses productions) espère que le spectacle mourra rapidement afin de mettre la main sur le pactole offert par ses généreuses donatrices. Mais voilà, les choses ne se passent pas comme prévu et le spectacle est finalement un triomphe.

C’est la première fois que Les producteurs, le spectacle musical le plus primé à la cérémonie des Tony Awards lors son adaptation pour la scène en 2001 (il a remporté 12 prix), est présenté au public parisien. Ceux qui ne l’ont pas vu doivent savoir que l’on connaît quelques étonnements au cours de cette comédie musicale où l’on sert le salut hitlérien.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Serge Postigo dans Les producteurs

Je vous avoue que durant le premier tiers du spectacle, je ne savais pas trop sur quel pied danser. La représentation des homosexuels (tous des grandes folles), des vieilles femmes avec leur marchette et des soldats du Troisième Reich, tout cela suscitait un malaise chez moi. Puis arrive la scène du spectacle raté avec Hitler, et tout se met en place.

Je ne crois pas que ce spectacle aurait pu être présenté à Paris il y a 25 ans. Il faut savoir qu’à côté du théâtre, il y a une école, et sur un panneau, on peut y lire que 300 enfants juifs ont été enlevés, déportés et exterminés sous le régime de Vichy. Le spectacle passe bien auprès du public, car tout le monde en prend pour son rhume.

Serge Postigo, acteur et metteur en scène

Sept fois par semaine, Serge Postigo revêt le complet de Max pour offrir une performance très physique en compagnie de Benoit Cauden (un compagnon de jeu « merveilleux », selon Postigo) et du reste de l’imposante distribution. Ce spectacle, acclamé lors de la dernière remise des Molières, en mai dernier, a fait des Producteurs l’un des grands succès de l’année à Paris. L’équipe est assurée de l’offrir au moins jusqu’en avril 2023.

Stabilité familiale

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il s’agit de la première expérience de scène en France pour celui qui a des origines françaises. Très aimé au Québec, Serge Postigo n’a pas droit à la même reconnaissance à Paris. Celui qui s’est fait connaître chez nous dans la populaire série 4 et demi savoure cet anonymat.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Serge Postigo dans Les producteurs

« Tu entres dans une salle de répétition et on te demande si tu as souvent fait cela dans ta vie. Je trouve ça génial, car j’éprouve un sentiment de recommencement. C’est bon d’abaisser son ego, parfois. Depuis le jour où des gens m’arrêtaient dans la rue pour me demander de tenir l’appareil photo afin que je les photographie avec mon chien qui était avec moi dans 4 et demi, j’ai compris comment le vedettariat marchait », dit-il en riant.

La forte présence de théâtres privés à Paris offre un système fort différent du nôtre. On crée un spectacle et on le lance comme une bouteille à la mer, ne sachant pas combien de temps il va tenir l’affiche.

Comme je dis toujours : au Québec, un hit dure un mois et un flop, 30 jours, indique Serge Postigo. Ici, on ne sait jamais.

Serge Postigo, acteur et metteur en scène

Ce « biorythme » de 30 ou 40 représentations auquel Serge Postigo est habitué lui a toutefois joué un tour. « Au bout de 90 spectacles, j’ai eu un creux. Il a fallu que je retrouve le bonheur d’aller jouer tous les soirs. Et c’est à travers mes camarades que j’ai puisé cette nouvelle énergie. »

Cet engagement à long terme lui permet d’avoir une stabilité familiale certaine. Ses deux plus jeunes enfants, Scarlett et Valentin, vivaient déjà avec leur mère à Paris. Ils ont donc leur père à temps plein. « Mon grand Thomas [qu’il a eu avec Marina Orsini] vient faire des séjours. »

Serge Postigo profite de cette longue installation pour faire connaître au milieu parisien les autres cordes de son arc, notamment celle du metteur en scène (il a déjà monté Papy fait de la résistance en France). « On me propose des choses, dit-il les yeux brillants. Je suis présentement en lecture de projets. »

Visionnez l’extrait des Producteurs Consultez la page du spectacle