Les fans – ou les otages ? – d’Emily in Paris décoderont du premier coup cette phrase cryptique, retranscrite en phonétique : île fée tray show dans les biurow !

Traduction pour les unilingues qui ne baragouinent pas la novlangue de la populaire comédie romantique de Netflix ? Il fait très chaud dans les bureaux de l’agence de marketing Savoir – ou de l’agence Savwouâre –, le lieu de travail parisien où la pimpante Emily Coupeur, euh Emily Cooper (Lily Collins), parade ses vêtements griffés aux coloris de Froot Loops.

Et ça ne sert plus à rien de prier Notre-Dame : le français de notre modeuse américaine, même après trois saisons qui ont toutes cartonné sur Netflix, ne s’améliorera jamais. C’est peine père-dou. Dans sa bouche peinte en rouge coco Chanel, très bien devient « tré bienne », Benoît se transforme en « Benne-wa » et Luc se change en « Louque ».

Woui, woui, elle s’exprime comme ça, Emily Cooper. Comme une fille du Midwest qui commande « una ceurvéssa » à Los Cabos, merci bonne-soir, et qui ne déploie pas d’effort particulier pour devenir une enfant de la patrie.

Malgré son français massacré à la McBaguette, Emily in Paris demeure un bon divertissement ultraléger et fort accrocheur, offert en français et en anglais. C’est un tourbillon entraînant de musique pop française, de chapeaux arc-en-ciel et d’intrigues sucrées comme des macarons.

La troisième saison, la meilleure jusqu’à présent, a éliminé plusieurs irritants des chapitres précédents, dont a) les publications ridicules d’Emily sur Instagram et b) les personnages français qui se parlaient en anglais entre eux même quand aucun anglophone n’apparaissait dans le cadre.

On avale d’un trait les dix demi-heures d’Emily in Paris comme un expresso au café du coin. On dévore les épisodes – qui portent des titres amusants comme Ex-en-Provence – pour y reluquer la mode audacieuse qui habille parfois Emily en gâteau de mariage de haute couture. J’adore, pour citer Dior.

Et si on s’attache autant à cette comédie loufoque et pimpante, c’est en grande partie grâce à la présence magnétique de l’actrice Philippine Leroy-Beaulieu, alias la chic patronne Sylvie Grateau, que la souriante Emily appelle constamment Seule-Vie.

Pro des relations publiques, cette Sylvie parfaitement bilingue incarne à merveille l’élégance et l’intransigeance de la Parisienne BCBG, qui ne se sépare jamais de son portable Galaxy Flip et de ses cigarettes. Si Emily rayonne comme un petit soleil qui gosse à la longue, Sylvie ne se gêne jamais pour l’arroser de sa pluie d’éteignoir pragmatique. À la limite, l’émission dérivée Sylvie à Paris marcherait encore mieux, mais bon.

Revenons à la protagoniste Emily Cooper, qui se coupe elle-même les cheveux en buvant du rosé dans le premier épisode de la troisième saison. Ooh là là, saisissez-vous toute la puissance de ce geste pas du tout anodin ? En langage de sitcom, l’apparition d’une frange à l’écran signifie que notre héroïne déchaînée part en vrille et qu’elle invite ainsi le chaos, oh oui, dans sa vie hors de prix.

S’en suivra une série de gaffes adorables et de quiproquos rigolos qu’Emily récupérera évidemment avec une idée de marketing de génie, soit pour une crème solaire gluante ou un parfum à la lavande qui a l’air de sentir le tuyau d’échappement.

Bien sûr, la tension sexuelle entre Emily et le jeune chef Gabriel (Lucas Bravo) reste aussi vive que la garde-robe en technicolor de la milléniale de Chicago au toupet de Rosemont. Et évidemment que cette affaire de cœur ne se résoudra pas en criant « Maison Lavaux ». Le producteur Darren Star, le manitou derrière Sex and the City, se garde du matériel solide, hum hum, pour le quatrième volet.

Cette série bonbon, d’une splendeur visuelle, a débuté à l’automne 2020 comme un divertissement pandémique qui a téléporté tous les confinés de la Terre dans les rues grouillantes de Paris (et non, elles ne ressemblent pas à celles du film Ratatouille). Depuis, le phénomène Emily in Paris a explosé et des commanditaires prestigieux s’affichent dans son intrigue fromagée, dont les voitures McLaren, les valises Rimowa, le bijoutier Tiffany et la marque de vêtements Ami.

Autour d’Emily et de son gigantesque étui à téléphone cellulaire, les personnages secondaires prennent enfin du galon, dont la colocataire et chanteuse Mindy (Ashley Park) qui déniche un boulot au mythique club de jazz La Trompette Bleue, un nom que les acteurs américains et britanniques ne prononceront jamais correctement en dix épisodes. C’est gênant.

Toujours au rayon des trucs embarrassants, la cadre supérieure de Chicago, Madeline (Kate Walsh), alias Addison Montgomery dans Grey’s Anatomy, joue très, très gros. Même dans un truc extravagant et foufou comme Emily in Paris, ça accroche. Comme une petite miette de croissant coincée dans la trachée.

Mais rien qu’une bonne rasade de « champère » ou de « chamère » ne réglera pas, bienne soure ! (ça veut dire bien sûr, en langage d’Emily).