Nous avons assisté à un véritable coup de théâtre mercredi dans l’affaire du blâme que le CRTC a adressé à Radio-Canada pour l’utilisation du « mot commençant par un N ». Le procureur général du Canada a dit à la Cour d’appel fédérale qu’elle pouvait recevoir la cause si elle le souhaitait. Mais du même souffle, il a affirmé qu’elle devait annuler la décision de l’agence fédérale. Du rarement vu !

Il faut savoir que, selon les règles de la Cour fédérale, lorsqu’il y a appel d’une décision d’un organisme fédéral comme le CRTC, l’intimé devient le procureur général du Canada.

Ce dernier demande donc à la Cour d’appel fédérale d’annuler la décision de l’organisme… qu’il représente !

Lisez le texte « Le CRTC a outrepassé ses pouvoirs à l’endroit de Radio-Canada, dit le procureur général »

La Cour d’appel fédérale pourrait maintenant recevoir cette procédure d’acquiescement et l’accepter telle quelle. La décision du CRTC serait alors automatiquement annulée. Il est donc fort possible que cette affaire s’arrête là.

Bref, disons que ça regarde très mal pour le CRTC qui, en juin dernier, a blâmé CBC-Radio-Canada pour son utilisation (pleinement justifiée, selon moi) du « mot commençant par un N » au cours de l’émission du retour à la maison 15-18 sur les ondes d’ICI Première.

Pour ceux qui n’auraient pas suivi toute cette affaire, rappelons qu'en août 2020, lors d’un échange entre Annie Desrochers, animatrice de l’émission 15-18, et le chroniqueur Simon Jodoin, le titre du roman Nègres blancs d’Amérique, de Pierre Vallières, a été mentionné à quatre reprises (une fois par l’animatrice pour camper le sujet, deux fois en français et une dernière fois en anglais par le chroniqueur). Le chroniqueur revenait sur une affaire qui a éclaboussé une professeure de l’Université Concordia. Cette dernière avait parlé de cette œuvre devant ses étudiants.

Dans les jours qui ont suivi, Ricardo Lamour, un auditeur (qui était également invité à l’émission cette journée-là), a été choqué d’entendre le « mot en n » sur les ondes de la radio d’État. Il a donc déposé une plainte au CRTC. L’organisme a ensuite rendu une décision blâmant Radio-Canada. La société d’État a accepté de s’excuser, mais, jugeant que le CRTC n’avait pas la compétence pour rendre une telle décision et qu’il avait ignoré les principes de la liberté de la presse contenus dans la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur la radiodiffusion, a décidé de porter la cause en appel.

Le document de requête déposé mercredi montre que Radio-Canada a eu parfaitement raison de le faire. Selon le procureur général, les outils exploités par le CRTC ne lui donnent pas la légitimé de se pencher sur ce type de question. L’organisme a utilisé une disposition de la Loi sur la radiodiffusion qui ne lui permet pas de juger de la pertinence de l’utilisation du « mot commençant par un N » dans le contexte où il a été prononcé à quelques reprises.

Bien sûr, il faudra attendre la décision finale de la Cour d’appel fédérale, mais cette cause et le verdict qui en découlera auront sans aucun doute un impact capital sur le monde des médias, mais aussi sur les principes qui protègent et guident la liberté d’expression.

Je retiens de cette affaire la manière dont ont erré les membres du CRTC qui ont choisi de blâmer Radio-Canada. Une foule d’observateurs de haut calibre l’ont répété à plusieurs reprises au cours des derniers mois : le CRTC est complètement sorti de son rôle qui est celui de réglementer et de surveiller un « système », et non de contrôler la parole de ceux qui en font partie. Et cela est très inquiétant.

Une question s’impose : Radio-Canada s’est-elle excusée trop rapidement ? On l’a vu par la suite, cette décision a alimenté des discussions enflammées au sein de la haute direction. Soulignons le cran qu’elle a eu de porter la décision en appel.

Je retiens également de cette affaire le tournant qu’elle va assurément marquer. Il y aura un avant et un après cette décision malheureuse. Les sociétés vivent une véritable révolution sur le plan idéologique. Jamais les groupes minoritaires n’ont été aussi entendus et considérés. Il faut persévérer en ce sens, il n’y a aucun doute là-dessus.

Mais ne perdons pas notre faculté de bien juger les choses. Ne prenons pas sans réfléchir le titre d’une œuvre pour une insulte raciste. Ne considérons pas les guides et les directives rédigés par des comités comme de nouvelles bibles.

La requête du procureur général du Canada est un solide camouflet au CRTC. Mais vous savez ce qui me fait peur dans cette histoire ? C’est qu’il était prévisible.