Le projet de Rogers Communications et Shaw Communications de vendre l’opérateur de téléphonie sans fil Freedom Mobile à Vidéotron placerait cette dernière dans une position de « grave vulnérabilité », a fait valoir mardi un avocat du Bureau de la concurrence.

« La cession créerait une relation de dépendance sans précédent entre un concurrent des (trois grands joueurs des télécommunications au pays) et Vidéotron, un acteur régional beaucoup plus petit, et même nettement plus petit que Shaw », a souligné John Tyhurst lors d’une audience virtuelle tenue mardi devant le Tribunal de la concurrence.

Les remarques de M. Tyhurst faites au nom du Bureau de la concurrence faisaient partie de la dernière étape des arguments que l’organisme présentera devant le juge en chef du Tribunal de la concurrence, Paul Crampton, lors d’une audience destinée à décider si Roger et Shaw obtiendront l’approbation pour leur fusion de 26 milliards.

L’un des principaux arguments de M. Tyhurst était que la possibilité que Vidéotron, active principalement au Québec et dans certaines villes frontalières de l’Ontario, puisse dépendre de la bonne volonté de Rogers devrait suffire, en soi, à empêcher la vente de Shaw à Rogers.

Rogers et Shaw ont proposé plus tôt cette année de vendre Freedom, active en Ontario et dans l’Ouest canadien, pour 2,85 milliards, dans l’espoir que cela apaise les inquiétudes du Bureau de la concurrence.

L’organisme estime qu’une fusion de Rogers et de Shaw entraînerait une augmentation des factures de téléphonie mobile et une détérioration de la qualité du service, mais les deux opérateurs de télécommunications ne sont pas d’accord, et Shaw a même affirmé qu’elle n’avait aucune voie à suivre si l’accord n’était pas conclu.

M. Tyhurst a souligné que l’accord signé en mars 2021 serait accompagné d’un réseau complexe de 13 ententes rappelant les ententes régulièrement rejetées par la Loi sur la concurrence, car elles nécessitent souvent une surveillance ou une réglementation future.

Il a soutenu que le web rendrait Vidéotron encore plus vulnérable à Rogers, alors que Vidéotron a déjà accusé Rogers de « saboter » son entente de partage de réseau au Québec. Un litige est en cours dans cette affaire.

M. Tyhurst s’est appuyé en partie sur les observations de Nathan Miller, un professeur de l’Université de Georgetown qui a rédigé un rapport s’opposant à l’accord.

« L’argument de M. Miller voulait que cette dépendance soit également susceptible d’augmenter les perspectives de coordination, puisque Vidéotron deviendrait plus réticente à concurrencer vigoureusement par crainte de représailles au Québec », a affirmé M. Tyhurst.

Fiabilité du réseau de téléphonie sans fil

L’absorption des offres « concurrentielles » de Shaw par Rogers entravera également l’industrie des télécommunications, qui verra le nombre de réseaux distincts dans l’Ouest canadien passer de trois à deux, a-t-il souligné.

Une baisse du nombre de réseaux se traduira par une baisse de la concurrence et des investissements, a prévenu M. Tyhurst.

« C’est particulièrement troublant compte tenu des piètres antécédents de Rogers en matière de fiabilité du réseau », a-t-il noté.

Ces commentaires faisaient référence à une interruption de service subie par Rogers le 8 juillet, qui a vu des millions de Canadiens incapables d’effectuer des appels d’urgence pour joindre la police, les ambulanciers paramédicaux et les pompiers.

Rogers n’a pas pu transférer ses clients vers des opérateurs concurrents, malgré les offres d’assistance de Bell et Telus. Il n’a pas non plus été en mesure de fermer son réseau d’accès radio, ce qui aurait automatiquement connecté les clients à un autre opérateur pour les appels au 911.

Le gouvernement fédéral a ordonné à Rogers et aux autres entreprises de télécommunications d’élaborer un plan de secours pour éviter qu’une perturbation similaire se reproduise.

La panne est survenue après que le Bureau de la concurrence a annoncé qu’il s’opposerait à l’accord, malgré l’approbation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en mai.

En plus du CRTC et du Bureau de la concurrence, l’entente nécessite l’aval du ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

Pour obtenir son soutien, le ministre Champagne a affirmé que Vidéotron devrait accepter de conserver les licences sans fil de Freedom pendant au moins 10 ans et qu’il « s’attendait à voir » les prix du sans-fil en Ontario et dans l’Ouest canadien baisser d’environ 20 %, les ramenant au niveau des offres actuelles de Vidéotron au Québec.

Québecor a indiqué qu’elle accepterait ces conditions.