(Ottawa) Le ministère chinois des Affaires étrangères déplore la suspension par Ottawa d’un contrat de télécommunications qui avait été accordé à une entreprise liée à Pékin pour les besoins de la GRC. Si l’entente a de quoi faire sourciller, il ne faut pas forcément crier à l’espionnage, croit une spécialiste de la sécurité nationale.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a suspendu, jeudi, le contrat de près de 550 000 $ accordé en octobre 2021 à l’entreprise Sinclair Technologies, établie au Canada, mais contrôlée depuis 2017 par Hytera Communications, une société chinoise détenue à environ 10 % par Pékin par le truchement d’un fonds d’investissement.

L’équipement est destiné à sécuriser les communications radio terrestres de la GRC. Cet accès potentiel de la Chine à des données sensibles, qui a été révélé mercredi dernier par Radio-Canada, a été décrié par les partis de l’opposition à Ottawa, à qui les libéraux ont donné raison en suspendant l’entente.

La porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Mao Ning, y a vu une décision malavisée.

« La Chine et le Canada bénéficient de la mondialisation économique et devraient rejeter la politisation des questions économiques ou l’extension excessive du concept de sécurité nationale », a-t-elle dit en conférence de presse, selon une transcription officielle.

Ces doléances ont été reprises dans le Global Times, porte-voix du régime de Xi Jinping, où l’on a reproché au gouvernement canadien de calquer ses politiques sur celles de son voisin du Sud – les États-Unis ont mis à l’index les équipements d’Hytera Communications en mars 2021.

Le contrat n’aurait « jamais dû être signé »

La ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, a réitéré vendredi, lors de la période des questions en Chambre, que le contrat en question n’aurait pas dû être accordé par Services publics et Approvisionnement Canada.

« C’est très préoccupant. Notre fonction publique indépendante n’aurait jamais dû signer ce contrat. […] On s’attend à ce que les questions de sécurité nationale soient au cœur de toutes les décisions que l’on prend », a-t-elle déclaré.

Le conservateur Luc Berthold venait de lui demander si l’attribution du contrat était le reflet d’un « aveuglement volontaire » ou « l’effet de l’influence de la Chine sur le bureau du premier ministre », dont le gouvernement semble s’élever contre l’ingérence de Pékin « juste quand c’est dans les médias ».

Une porte-parole de Sinclair Technologies, Martine Cardozo, a fait savoir vendredi que la société d’Aurora, en Ontario, ne souhaitait pas commenter la décision d’Ottawa, sauf pour dire qu’elle était « une entité complètement indépendante », et que le transfert de propriété en 2017 n’avait en rien érodé cette indépendance.

Surtout un problème de perception, juge une experte

La police fédérale a assuré plus tôt cette semaine que ses communications radio étaient dotées de cryptage de bout en bout, et que l’équipement de Sinclair Technologies ne représentait aucun risque de sécurité, notamment parce qu’il n’a pas accès à ses communications terrestres.

Professeure adjointe d’affaires internationales de l’Université Carleton, à Ottawa, Stephanie Carvin semble d’accord… même si elle confie avoir bien ri en apprenant l’existence de ce contrat.

Je pense que c’est davantage un problème d’image que de sécurité. C’est difficile de briser un message crypté.

Stephanie Carvin, professeure adjointe d’affaires internationales de l’Université Carleton

L’enjeu « le plus significatif » est peut-être celui de l’approvisionnement, fait valoir la spécialiste de la sécurité nationale. Car Services publics et Approvisionnement Canada a préféré la soumission de la société en partie détenue par Pékin à celle de l’entreprise québécoise Comprod, qui a offert 60 000 $ de moins, d’après les informations de Radio-Canada.

« La Chine veut dominer certaines industries du secteur technologique, en particulier celui des télécoms. Il y a une stratégie géoéconomique que suivent certaines entreprises chinoises qui s’approprient des technologies occidentales pour ensuite les utiliser et prendre le contrôle de secteurs qui leur sont d’intérêt », expose-t-elle.

La Chine de tous les débats à Ottawa

L’ombre de l’empire du Milieu plane depuis plusieurs semaines sur la colline du Parlement à Ottawa.

Il y a environ un mois, le réseau Global News a rapporté que le gouvernement chinois avait déployé au pays une vaste campagne d’ingérence étrangère, entre autres par le truchement d’un réseau clandestin d’au moins 11 candidats fédéraux (conservateurs comme libéraux) lors des élections fédérales de 2019.

Il y a aussi la question des postes de police clandestins sur le sol canadien qui continue de provoquer des remous. À ce sujet, Affaires mondiales Canada a fait « des représentations » à trois reprises auprès de l’ambassadeur de Chine à Ottawa, Cong Peiwu, a indiqué une porte-parole du ministère, Marilyne Guèvremont.

Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, qui a commencé à étudier l’ingérence de la Chine dans les élections au Canada, doit entendre mardi prochain les témoignages de la ministre Mélanie Joly et de son collègue Dominic LeBlanc.