Connaissez-vous le yuzu, la main de Bouddha, le citron caviar ou le sudachi produits par l'entreprise québécoise O'Citrus ? Déjà prisés par certains restaurants comme le Rosélys, Le Mousso ou Les Enfants terribles, ces agrumes inusités se retrouveront un jour dans les épiceries grâce à Vyckie Vaillancourt, la seule productrice d'agrumes locaux du Québec.

Les consommateurs devront toutefois patienter quelques années avant de trouver ses agrumes dans les marchés. « Ça prend sept ans avant d'avoir des fruits dans un arbre, et mon père a commencé le projet il y a 10 ans, pour sa consommation personnelle », se souvient la productrice de 29 ans.

Invitée à créer une entreprise fictive durant ses études en entrepreneuriat, elle a imaginé un projet de commercialisation d'agrumes locaux. « L'idée m'a tellement plu que j'ai décidé de la concrétiser ! Heureusement que je suis passionnée par le projet, car on a beaucoup de difficulté à obtenir du financement, étant donné qu'on n'obtiendra aucune entrée d'argent pendant des années. »

Par ailleurs, la production d'agrumes en territoire nordique est tout sauf gratuite. « En raison des conditions météo, on doit chauffer nos serres à 10 degrés Celsius durant l'hiver, ce qui entraîne des coûts importants. »

Consciente qu'elle ne peut concurrencer les multinationales productrices d'oranges ou de citrons avec leurs prix très bas, Vyckie Vaillancourt a choisi de se concentrer sur les agrumes difficiles à trouver dans la province.

Après avoir fait des recherches intensives sur leur mode de production, elle a passé deux semaines au Portugal chez un producteur d'agrumes. « Évidemment, il peut les faire pousser dehors, parce qu'il n'a pas les mêmes contraintes de climat, mais j'ai accumulé beaucoup de connaissances sur les fruits, comment les tailler et les entretenir. »

« Avec le temps, je veux devenir LA référence sur les agrumes au Québec. »

- Vyckie Vaillancourt

Six générations

Malgré son enthousiasme actuel, la jeune femme a longtemps voulu se tenir loin du monde agricole, après avoir grandi à la Ferme Vaillancourt. « J'ai vu mon père travailler tellement fort quand j'étais petite et je connais les mauvais côtés de reprendre une ferme. Plus jeune, je ne voulais pas faire ça. J'ai étudié en relations publiques et travaillé dans le domaine environ cinq ans. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

L'entreprise québécoise O'Citrus  produit surtout des fruits difficiles à trouver au Québec, comme le yuzu, la main de Bouddha, le citron caviar ou le sudachi.

Cependant, lorsque son père a évoqué la vente de la ferme, qui est dans la famille depuis 185 ans et transmise depuis six générations, la situation l'a secouée. « J'avais du mal à imaginer la ferme dans les mains d'une autre famille. Je suis née ici. J'ai construit des cabanes dans les arbres en arrière. Donc, je me suis dit qu'avant de vendre, je devais au moins essayer de voir si j'aimais ça ou non. »

Fille unique d'Yves Vaillancourt, elle est devenue - officiellement - la première femme à reprendre l'entreprise. « Auparavant, mon grand-père avait repris les rênes avec ma grand-mère, qui a toujours été très active. N'empêche, je me suis dit que c'était un jalon historique dans la famille. Et je veux continuer de transmettre notre joyau de terre à d'autres générations. »

Un défi imposant, alors qu'elle n'a pas étudié en agriculture. « J'ai grandi sur une ferme, mais il y a plein de notions que je ne connais pas encore. Je discute avec beaucoup d'autres agriculteurs pour apprivoiser leur vocabulaire et leur savoir-faire. »

Heureusement, elle se démarque avec sa vision d'affaires. « Je comprends ce qu'il faut faire pour survivre et renouveler notre clientèle. À court terme, je veux produire une plus grande variété de fruits et améliorer nos installations pour augmenter notre efficacité énergétique. D'ici quelques années, je veux que tout le monde puisse goûter à nos agrumes. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND

Au Québec, chauffer les serres à 10 degrés Celsius durant l'hiver coûte cher.