Tout ce qui touche l'Afrique est vaste. Le continent. Les préjugés. Les problèmes. Le potentiel.

«C'est un sujet vaste», dit Jean-Louis Roy pour commencer.

Vaste continent, d'abord, plus grand qu'on l'imagine. De Dakar à la Corne de l'Afrique, il fait 7300 km d'est en ouest - il y a 5000 km entre Vancouver et St John's.

L'Afrique compte 54 pays, fréquemment amalgamés dans un même brouillard. «On n'a pas l'idée de confondre le Portugal avec la Norvège, lance le président de Partenariat International. On fait ça souvent dans le cas de l'Afrique.»

Dans le bureau de sa maison montréalaise, l'ancien directeur du Devoir, ex-délégué du Québec à Paris et ancien secrétaire général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie nous explique l'Afrique. Elle s'y trouve partout, rangée dans les rayons de sa bibliothèque, accrochée aux murs, déposée sur les meubles.

Esprit méthodique - ce qui n'exclut pas la largeur de vue -, il a posé devant lui quatre feuillets manuscrits, où sont alignés chiffres, données, réflexions.

Il lance la première. «Ce qui s'est passé en Asie à partir de 1995, c'est-à-dire l'arrivée massive de l'investissement et le déploiement de l'ère numérique qui s'est répandue partout, est en train de changer l'Afrique radicalement.»

Au début du nouveau siècle, l'Afrique recevait 10 milliards d'investissements directs étrangers par année. «C'est porté à 70 milliards, et ça n'a pas cessé de monter. Ça veut dire que dans les 10 prochaines années, elle pourrait recevoir à peu près 1000 milliards d'investissements», constate l'ancien diplomate, de sa voix posée.

Vent d'est

«Ce qui a changé la situation de l'Afrique depuis 15 ans, c'est la Chine», résume-t-il. Les échanges commerciaux entre l'Afrique et la Chine, en quête de ressources naturelles, sont passés de 25 milliards en 2002 à 175 milliards en 2012.

«Quand on demande aux gens sérieux ce qui les fait tomber dans les bras des Chinois, ils nous disent : avec eux, la question du financement ne se pose jamais parce qu'ils apportent le financement. On se met d'accord sur une priorité, un barrage par exemple, et le financement est inclus dans le deal. Trois mois plus tard, les travaux commencent. Avec les Européens, c'est trois ans.»

À un quart de siècle de distance, les Africains font face aux défis que les Chinois ont eux-mêmes affrontés, et ils se reconnaissent cette communauté de préoccupations. «Les Chinois savent ce qu'est l'urgence.»

La Chine n'est pas seule. L'Inde, l'Indonésie, le Brésil, la Corée, d'autres encore, dirigent leur regard - et leurs investissements - vers l'Afrique.

Bien sûr, il y a le Nigeria, avec ses 175 millions d'habitants et ses ressources pétrolières, où se bâtit la ville d'Eko Atlantic, le plus vaste projet immobilier de la planète. Mais Jean-Louis Roy préfère donner l'exemple plus représentatif du Cameroun. Un port en eau profonde, trois centrales électriques, trois autoroutes et deux aéroports internationaux sont en voie d'être construits ou en cours de construction. «Ça, mon cher ami, quand on allait en Afrique - j'y vais depuis 30 ans -, on n'entendait pas parler de ce genre d'investissement.»

Cette effervescence a fait émerger une classe moyenne que la Banque mondiale chiffre à 350 millions de personnes. Dans 10 ans, elle dépensera 827 milliards de dollars. «On n'a jamais vu ça!»

Les difficultés

Les difficultés sont hors de proportion, elles aussi. Berceau de l'humanité, l'Afrique est le plus vieux continent. C'est aussi le plus jeune. Sa population devrait atteindre 2,2 milliards en 2050. «Quand je vais en Afrique et que je pense que la ville dans laquelle je suis va doubler de population dans les 25 prochaines années, je me dis : comment vont-ils réussir ça ? C'est vraiment immense!»

Il faudra nourrir cette population, une tâche que l'Afrique peine déjà à réaliser.

Il faudra l'instruire aussi - le troisième grand défi du continent. «Les pays africains sont parmi ceux qui dépensent le plus pour l'éducation, entre 18 et 20% de leur budget. Mais la démographie les rejoint : il pousse des enfants dans tous les arbres!»

Retrait du Canada, retour des Canadiens

Et le Canada? Il a donné l'impression de disparaître du continent, quand Stephen Harper «a dérouté vers les Amériques une partie des ressources qu'on mettait sur l'Afrique».

Des ambassades ont été fermées, la présence canadienne se concentrant sur une dizaine de pays. «Le Canada s'est vraiment retiré.»

Mais les entreprises canadiennes y reviennent. Exportation et développement Canada (EDC) «s'est rendu compte qu'il y avait beaucoup de sociétés canadiennes qui, elles, étaient encore intéressées par ce qui se passait sur le continent africain».

EDC a ouvert en 2015 son premier bureau en Afrique. Cette année, l'organisme soutient 216 sociétés canadiennes en Afrique du Sud, 162 autres au Maghreb et 93 en Afrique de l'Ouest.

«On est de retour», affirme-t-il, avant d'ajouter: «En vérité, le monde entier s'en va vers l'Afrique. On est dans les derniers wagons, mais au moins, on aura attaché le wagon.»

Une place à table pour le Québec

Le Québec se montre lui aussi discret, alors qu'il avait été très présent au cours des années 70 et 80. «Il y a quelque chose de ralenti, en ce moment », observe-t-il d'un ton pensif, où perce comme un regret. « On est un petit joueur très connu des 34 pays francophones, et le va-et-vient entre eux et nous est beaucoup moins visible.»

Il donne un exemple. «Je me suis fait dire dix fois plutôt qu'une : «On aurait travaillé avec Hydro-Québec, mais Hydro-Québec ne travaille plus à l'international.» Elle était en Afrique, les gens s'en souviennent.»

Pourtant, ajoute-t-il, on prévoit des investissements de 300 milliards entre 2015 et 2030 dans l'énergie, notamment pour l'aménagement hydroélectrique et les infrastructures de transport et distribution d'électricité. «C'est assez extraordinaire qu'on ne soit pas là, alors que le reste du monde y est. 

Le Québec a d'autres expertises reconnues. «Bizarrement, un des grands dossiers de l'Afrique sur lequel les gens nous attendent, et c'est très clair, c'est l'épargne et le crédit.»

Une vaste épargne souterraine s'est accumulée en Afrique, en dehors des réseaux bancaires. «Est-ce que le mouvement coopératif d'épargne et de crédit est intéressé à aller chercher une part de ce qui va se passer là-bas?»

Il fait le même constat pour les coopératives agricoles québécoises. «Il y a toute une chaîne, qu'on maîtrise parfaitement bien, qui va se mettre en place en Afrique pour 2 milliards de bouches. C'est 6 milliards de repas par jour.»

Une immense tablée, à laquelle le Québec pourrait s'inviter.