Pour faire croître la présence des femmes en innovation, surtout dans les secteurs des sciences, des technologies, des mathématiques et du génie, il faut mettre l’accent sur la sensibilisation dès l’école primaire, le mentorat, la présence de modèles, le réseautage… et rassembler plus d’alliés masculins.

Voilà l’avis de trois femmes qui travaillent dans les hautes sphères de l’innovation au Québec, Paule De Blois, présidente et directrice générale d’Axelys, Maritza Jaramillo, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique, et Ekaterina Turkina, professeure au département d’entrepreneuriat et innovation de HEC Montréal.

Toutes trois avouent avoir elles-mêmes rencontré des obstacles tout au long de leur parcours professionnel.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Paule De Blois, présidente et directrice générale d’Axelys

Je n’ai jamais senti que le fait que je sois une femme me limitait, sauf quand j’approchais de postes de direction, au niveau exécutif. À ce moment-là, oui, j’ai reçu de temps en temps des commentaires désobligeants.

Paule De Blois, présidente et directrice générale d’Axelys

Pour Mme Jaramillo, c’est surtout lors de sa formation afin de devenir biologiste, en Colombie, que les choses se sont corsées. « J’ai été discriminée et offensée, raconte-t-elle, mais il ne faut pas écouter les mauvais commentaires. Je suis convaincue que dans les années à venir, une femme en innovation, disons une ingénieure, ça va être normal, on n’en parlera plus. On sera passé à autre chose. »

Mme Turkina s’estime quant à elle « bien chanceuse » d’avoir subi « peu de résistance » dans sa carrière. « Mais je ne peux pas dire que les préjugés et les stéréotypes n’existent pas pour les femmes en sciences », laisse-t-elle tomber.

Les femmes représentent 30,2 % des diplômés au baccalauréat en ingénierie de Polytechnique Montréal, un niveau record, selon les chiffres de l’établissement publiés en avril dernier. Ce chiffre chute à 15 % pour ce qui est de la proportion de femmes parmi les membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

« Et si on regarde du côté de l’innovation en technologies de l’information et communications, la proportion de femmes est de 20 %, un chiffre qui stagne depuis 2011 », constate Mme Jaramillo.

En augmentation depuis 2000

La professeure de HEC Montréal Ekaterina Turkina étudie la proportion de femmes, comparativement aux hommes, qui obtiennent des brevets pour des innovations, à l’échelle planétaire. « Dans les années 1970-1980, c’était très marginal, dit-elle, mais depuis les années 2000, il y a beaucoup d’amélioration, particulièrement au Québec, qui fait bonne figure dans le Canada et même en Amérique du Nord. »

Présentes dans les secteurs liés aux sciences de la vie, comme la biochimie et la médecine, les femmes sont sous-représentées en sciences, en technologies, en mathématiques et en génie. Pourquoi ? Paule De Blois, qui dirige Axelys, où on retrouve la parité hommes-femmes, tente une explication :

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Paule De Blois, présidente et directrice générale d’Axelys

Les innovations, ça vient avec des études supérieures, au doctorat et au postdoctorat. Il y a une volonté chez les jeunes femmes de se stabiliser dans un emploi, si elles souhaitent fonder une famille par exemple.

Paule De Blois, présidente et directrice générale d’Axelys

Maritza Jaramillo est du même avis : « Il y a des barrières aux positions de leadership, du côté des professeurs, des chercheurs, dans les positions de direction des universités, et pas seulement du côté des femmes, mais de la diversité tout court. » Or, cette diversité est importante, souligne-t-elle. « C’est démontré qu’on est plus créatif lorsqu’on évolue dans un univers de pluralité de points de vue, de diversité de formations, de cultures, de genres et d’orientations sexuelles. »

Des solutions pour aller plus loin

Les solutions existent, croient les trois expertes, et plusieurs sont déjà lancées. Des programmes comme l’initiative « 30 en 30 » d’Ingénieur Canada, ayant pour objectif de faire passer à 30 % la proportion d’ingénieures au Canada d’ici 2030, ou sur le terrain, le Colloque Force de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec de l’Université de Sherbrooke, poussent pour intéresser les filles au monde de l’innovation.

« Les jeunes filles doivent être sensibilisées aux sciences et à tous leurs dérivés, comme le droit, le journalisme scientifique ou encore, la profession d’agent de brevet, remarque Mme De Blois. La science, ce n’est pas juste tenir un bécher dans un labo ! »

Mme Jaramillo insiste sur le fait que des environnements doivent être créés pour que les jeunes filles s’y sentent à l’aise.

Ce ne sont pas juste les garçons qui sont bons en sciences ! L’éducation commence à la maison et à l’école. Il faut cesser la division par les genres, et cela doit se traduire tout au long de la formation.

Maritza Jaramillo, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique

Elle parle aussi de l’importance de mettre en place des « conditions facilitantes », par exemple une plus grande flexibilité d’horaire et des garderies abordables près des milieux de travail.

Ses conseils à celles qui s’intéressent à l’innovation, que ce soit en entrepreneuriat ou en informatique ? « J’aimerais leur dire : vous avez tout ce qu’il faut. Entourez-vous de mentors, de modèles, d’alliés, de professeurs… et d’un bon partenaire si vous voulez des enfants. »

Une liste à laquelle Mme De Blois ajoute : « Croyez en vous. Et lancez-vous ! »