Bien des PME québécoises ont déjà repris leur élan après la fin du grand confinement le printemps dernier. Mais l’incertitude les incite à planifier leur croissance autrement.

En plus de maintenir leurs activités dans l’est de Montréal, les entreprises sœurs Solicanada et Usibec viennent de faire démarrer en septembre une deuxième usine à Saint-Justin, en Mauricie. Pourtant, elles n’ont pas été épargnées dans les derniers mois.

Au plus fort de la crise, Usibec a pu produire de manière réduite, puisqu’elle fabrique des équipements jugés essentiels, notamment pour l’industrie pharmaceutique.

Solicanada, spécialisée dans les pergolas, a dû pour sa part interrompre ses activités de mars à mai. Cette PME avait augmenté son chiffre d’affaires de 50 % l’année dernière et prévoyait de se lancer sur le marché américain avant que la COVID-19 bouscule ses plans.

Mais Alexis Lemoine, vice-président, Ventes et Développement des affaires de Solicanada et d’Usibec, se montre optimiste. Le soutien gouvernemental leur a permis de traverser le creux. Et Solicanada redirige les efforts qu’elle pensait mettre aux États-Unis à hausser ses ventes en Ontario et à percer en Colombie-Britannique. « Notre mission est d’aider les gens à se doter d’une structure pour profiter de leur cour arrière », soulève-t-il, alors que de nombreux particuliers réaménagent cet espace depuis le confinement.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Cléroux, vice-président, Recherche et économiste en chef à la Banque de développement du Canada (BDC)

La relance est bien amorcée au Québec. Les PME de plusieurs secteurs en bénéficient et font de bonnes affaires, mais elles restent prudentes parce qu’il y a encore beaucoup d’incertitudes.

Pierre Cléroux, vice-président, Recherche et économiste en chef à la Banque de développement du Canada (BDC)

Il ajoute que la plupart des entreprises attendent avant de retourner à leur plan de croissance.

« Le problème actuellement, ce n’est pas dans le nombre de commandes, c’est dans l’incertitude », abonde Frédéric Laurin, chercheur à l’Institut de recherche sur les PME de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Parmi les craintes : les faillites éventuelles de clients ou de fournisseurs, notamment ceux situés aux États-Unis. Solicanada rapatrie par ailleurs la peinture dans sa nouvelle usine, pour moins dépendre de sous-traitants.

Selon un récent sondage mené par la Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI), 70 % des entreprises se disent inquiètes d’une crise économique et 62 % d’une baisse de la consommation. « La pénurie de main-d’œuvre va revenir », rappelle aussi François Vincent, vice-président Québec à la FCEI.

Cap sur la gestion de risque et le numérique

En mai dernier, Frédéric Laurin a mené une enquête en collaboration avec la Fédération des chambres de commerce du Québec auprès de plus de 1200 PME. Après l’adaptation aux nouvelles règles sanitaires, les transformations que les entreprises affirmaient le plus mettre en œuvre concernaient leur stratégie de gestion du risque et les technologies numériques.

« Un endroit où les PME veulent investir, c’est dans les technologies », constate aussi Pierre Cléroux. C’est par ailleurs le cas chez Usibec et Solicanada : des dizaines de milliers de dollars ont été investis dans une plateforme numérique collaborative pour améliorer la planification et la gestion du travail.

Ces virages technologiques, signale Pierre Cléroux, visent à améliorer la productivité et à diminuer les coûts pour mieux encaisser une récession ou être mieux préparés une fois venu le moment d’accélérer la croissance.

Avant la pandémie, la stratégie en vogue consistait plutôt à ouvrir des marchés et à lancer de nouvelles gammes de produits. Dans une étude menée récemment par la BDC, 23 % des PME disent tout de même continuer dans cette voie, cette fois pour survivre s’il survenait un ralentissement dans leur créneau. Néanmoins, « l’enjeu numéro un est de s’assurer d’être efficace au maximum avant d’explorer d’autres marchés et produits », remarque Pierre Cléroux.

« Les États-Unis, ce ne sera pas cette année », reconnaît Alexis Lemoine. Il demeure pour l’instant trop difficile pour Solicanada d’effectuer par elle-même l’installation de ses pergolas au sud de la frontière. Mais la PME prévoit toujours de développer une clientèle là-bas, lorsque la situation s’améliorera.