Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Le monde de l’investissement est étrange.

C’est le seul domaine où des gens qui n’y connaissent absolument rien ont l’occasion d’égaler, ou même de dépasser, les résultats des experts qui occupent des postes parmi les plus prestigieux de notre société.

Dans quel autre domaine est-ce possible ? Le premier passant venu serait incapable de réaliser une opération à cœur ouvert à Sainte-Justine. Ou de diriger l’Orchestre symphonique de Montréal. Ou de caler un long coup roulé à la façon de Tiger Woods.

En investissement, c’est non seulement possible, c’est courant.

C’est ce qui m’est venu en tête l’autre jour lorsque la Caisse de dépôt et placement du Québec, l’un des plus grands investisseurs institutionnels du monde, a diffusé son rendement de l’année dernière.

En 2023, la Caisse a eu un rendement de 7,2 %.

La comparaison n’est pas parfaite. Mais un portefeuille diversifié de fonds indiciels 60 % actions, 40 % obligations (le « steak, blé d’Inde, patates » des placements) a obtenu un rendement de 12,5 % en 2023, réinvestissement des dividendes compris.

Et depuis cinq ans ? On a quand même vécu pas mal d’affaires plates depuis la fin de 2018. Depuis cette date, la Caisse a obtenu un rendement annualisé de 6,4 % avec ses actifs répartis dans près de 70 pays autour du monde. Un portefeuille 60/40 a connu une croissance de 6,85 % durant cette période.

Qu’en est-il du rendement à très long terme ? Depuis sa création en 1965 pendant la Révolution tranquille, la Caisse a obtenu un rendement annualisé de 8,2 % en moyenne.

Les comparaisons sont encore plus difficiles quand on remonte dans le temps. Mais on sait qu’un portefeuille composé de 50 % d’actions canadiennes et de 50 % d’actions américaines a historiquement connu une croissance moyenne de 10,9 % de 1919 à 2019, selon les calculs d’Elaine Loo, conseillère en placement associée de l’équipe financière Stan Clark chez CIBC Wood Gundy. Les obligations canadiennes, elles, ont connu un rendement annuel moyen de 4,9 % durant cette période de 100 ans.

Consultez le site de Stan Clark (en anglais)

Cela nous donne donc une croissance moyenne de 8,5 % par année à très long terme pour un portefeuille 60/40 durant une période qui inclut le krach de 1929, la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, notamment. C’est un cheveu au-dessus du rendement de la Caisse depuis sa création.

Assembler un portefeuille de centaines d’actions et d’obligations aurait été difficile et coûteux au siècle dernier. On peut le faire en quelques secondes aujourd’hui, pour un coût de transaction nul.

Je ne cherche pas à critiquer la Caisse de dépôt, qui doit composer avec toutes sortes d’exigences et de restrictions.

Mais il y a un mythe en finance voulant que les grands gestionnaires aient une « sauce secrète », une « touche magique » pour multiplier les dollars et obtenir des rendements étincelants auxquels le commun des mortels n’a pas accès.

Les données nous montrent que ce n’est pas le cas.

Charlie Munger est moins gentil que moi. Le regretté investisseur milliardaire américain a dit l’an dernier que les grands gestionnaires « surestimaient leurs aptitudes » à créer davantage de richesse que le marché sur une base ajustée au risque pour leurs clients.

« Combien de gestionnaires vont battre les indices, tous frais confondus ? a demandé M. Munger. Peut-être que 5 % d’entre eux battent régulièrement les moyennes ; tous les autres vivent dans un état de déni extrême. »

Quoi qu’il en soit, voici comment battre la Caisse de dépôt en trois étapes simples.

Premièrement, j’utilise le mot « simple », pas le mot « facile ». L’investissement, même lorsqu’il est bien pratiqué, n’est jamais « facile ». Vivre plusieurs années de baisses de suite n’est pas « facile ». Si vous croyez qu’investir est facile, ou même excitant, c’est que les marchés n’ont pas encore vu à votre éducation ; soyez sans crainte, votre tour viendra.

Ensuite, toutes les données dont on dispose nous parlent du passé. Le monde de l’investissement est comme ça : on avance toujours dans la brume. Le mieux que l’on puisse faire, c’est diversifier nos placements, établir le niveau de risque avec lequel on est à l’aise, et laisser nos actifs travailler en paix le plus longtemps possible.

Maintenant que c’est dit, les trois étapes sont les suivantes :

1) Ouvrir un compte de courtage

Toutes les institutions financières canadiennes offrent des comptes de courtage. On peut ouvrir un compte de courtage REER, CELI, CELIAPP, REEE, ou alors un compte non enregistré, c’est-à-dire sans traitement fiscal particulier. La plupart des institutions imposent des frais de gestion de 100 $ par année si vous n’avez pas 15 000 ou 20 000 $ investis. Si vous commencez avec peu d’argent, sachez que des plateformes comme Questrade ou Wealthsimple n’ont pas de frais de gestion, peu importe les sommes investies. Desjardins (Disnat) laisse tomber les frais pour les investisseurs âgés de 18 à 30 ans.

2) Acheter un fonds diversifié et équilibré

Assembler un portefeuille diversifié en achetant un seul fonds est simple depuis l’arrivée des fonds négociés en Bourse (FNB) indiciels tout-en-un au Canada il y a une quinzaine d’années. Par exemple, le fonds Vanguard Portefeuille FNB équilibré (VBAL) est composé à 60 % d’actions de près des 14 000 entreprises dans 51 pays, et à 40 % d’obligations. Tout ça dans un fonds dont les frais de gestion annuels totaux sont de 0,24 %. Blackrock propose un fonds similaire sous le symbole XBAL, et BMO sous le symbole ZBAL.

Des versions de ces fonds incorporent aussi 20 % d’obligations au lieu de 40 %, ce qui pourrait leur donner plus de potentiel de croissance à long terme, mais aussi plus de volatilité. Il s’agit des fonds VGRO, XGRO, et ZGRO.

Pour les très gros portefeuilles, il est possible d’acheter des FNB individuels (actions canadiennes, actions américaines, actions internationales, etc.) et d’économiser encore davantage en frais de gestion. Pour la majorité des gens, les fonds tout-en-un sont difficiles à battre, puisqu’ils ne requièrent aucun suivi ou intervention de notre part.

Acheter ou vendre une part d’un fonds coûte habituellement 9,95 $, peu importe le montant de la transaction. Mais une pression à la baisse est en cours dans l’industrie. Desjardins (Disnat), Banque Nationale Courtage direct et Wealthsimple ne facturent pas de frais de commission sur les actions et les FNB.

3) S’asseoir sur son derrière

C’est l’étape la plus difficile. Ce n’est pas une blague. Les meilleurs investisseurs sont ceux qui n’interviennent pas dans leurs placements. Ils ajoutent régulièrement de l’argent, et c’est tout. Si vous ne pouvez vous empêcher d’investir en fonction de ce que dit François Trahan, ou si vous songez à faire comme votre beau-frère et investir votre retraite dans Nvidia, n’investissez pas par vous-même. Faites plutôt affaire avec un conseiller financier.

Est-ce que l’investissement indiciel autonome est pour tout le monde ? Non. Est-ce qu’il est idéal pour certaines personnes ? Absolument.

Pas besoin d’occuper un bureau en coin au sommet d’une tour en verre pour le réaliser.

Recevez en primeur chaque mardi l’infolettre L’argent et le bonheur