Chaque samedi, un de nos journalistes répond à l’une de vos questions sur l’économie, les finances, les marchés, etc.

« J’aimerais savoir pourquoi c’est bon de recevoir des dividendes et de les réinvestir dans une action, un fonds commun ou dans un FNB étant donné que le cours de l’action ou du fonds baisse du montant du dividende le jour où celui-ci est annoncé. La valeur marchande reste la même, et donc il n’y a pas de plus-value. »
— Yves

Vous ne le réalisez peut-être pas, Yves, mais vous posez le pied en terrain miné.

Les dividendes, qui sont la part des profits qu’une entreprise peut choisir de verser en argent comptant à ses actionnaires quatre fois l’an généralement, sont extrêmement appréciés des investisseurs. Contester leur utilité n’est pas un sacrilège. Mais pas loin.

Au Canada, beaucoup de grandes entreprises, les banques notamment, versent de généreux dividendes depuis des décennies. Et donc pour bien des gens, recevoir un dividende est aussi naturel que recevoir un chèque de paie. Dire à ces gens que cela n’ajoute aucune valeur est impopulaire.

Et pourtant, c’est ce que la recherche nous enseigne.

« Ce lecteur tape dans le mille », explique Raymond Kerzérho, chercheur principal et chef, recherche et services partagés, de la firme de gestion de portefeuille PWL Capital.

Un paiement de dividende se traduit par une réduction de l’encaisse de la société émettrice, dit-il.

« Donc, en moyenne, les paiements de dividende sont systématiquement contrebalancés par une réduction du prix de l’action, tel que l’ont documenté deux chercheurs de l’Université du Minnesota », dit M. Kerzérho.

Consultez le texte des chercheurs (en anglais)

C’est que l’entreprise qui paie 1 $ en dividende voit le prix de son action diminuer de 1 $ en moyenne le jour où le dividende est annoncé, comme l’a également démontré une étude de David H. Solomon et Samuel M. Hartzmark, de la Boston College Carroll School of Management.

Consultez l’étude (en anglais)

Les profits, qu’ils soient réinvestis ou distribués aux actionnaires sous forme de dividende, demeurent la propriété des actionnaires, dit M. Kerzérho.

« Il est en effet courant que les investisseurs, amateurs et professionnels, traitent les dividendes et les gains en capital comme deux sources de rendement séparées. La recherche en finance comportementale appelle cette erreur la free dividend fallacy [ou l’illusion du dividende]. »

Tomber du ciel

Rechercher des dividendes peut donner lieu à des inefficiences dans la construction d’un portefeuille. Par exemple, comme les dividendes des sociétés canadiennes reçoivent un traitement fiscal favorable entre les mains d’investisseurs canadiens, ceux-ci pourraient avoir une surpondération de sociétés canadiennes dans leur portefeuille, et ainsi tourner le dos à une diversification internationale potentiellement plus payante à long terme.

Le Canada ne représente que 3 % de la taille des marchés boursiers mondiaux. Mais les investisseurs canadiens ont en moyenne plus de 52 % de leurs actifs dans des entreprises canadiennes, selon les données de 2022 du Fonds monétaire international (FMI).

Aussi, le fait de recevoir de l’argent qui semble « tomber du ciel » peut influencer le comportement de l’investisseur.

L’étude Consuming Dividends réalisée en Allemagne en 2022 a montré que les investisseurs avaient tendance à utiliser leurs dividendes pour augmenter leur train de vie, et ce, peu importe leur niveau de richesse ou leur âge.

Consultez l’étude (en anglais)

Un investisseur en phase d’accumulation d’actifs qui dépense un dividende sera bien sûr désavantagé puisque cet argent ne travaillera plus jamais pour lui.

Pourquoi de nombreux investisseurs consciencieux ont-ils eu de bons rendements avec des titres à dividende ? Premièrement, beaucoup d’entre eux investissent à long terme et font peu de transactions, deux caractéristiques qui augmentent les chances d’avoir une expérience favorable dans les marchés.

Ensuite, beaucoup d’entreprises qui versent et augmentent leurs dividendes ont des caractéristiques désirables qui assurent un bon rendement. En ce sens, le dividende est vu comme un « marqueur » qui signale cette qualité.

Or, le dividende est un « marqueur » très inefficace. Par exemple, une autre façon pour des entreprises d’enrichir leurs actionnaires est de procéder à des rachats d’actions. Ces rachats remettent de la richesse aux actionnaires en donnant plus de valeur à chaque action en circulation.

Depuis 10 ans, les entreprises du S&P 500 qui ont procédé à d’importants rachats d’actions (tel que le calcule le S&P 500 Buyback Index) ont connu un rendement total annualisé de 11,66 %, tandis que les entreprises à dividendes élevés du S&P 500 (S&P 500 High Dividend Index) ont obtenu un rendement total de 8,80 %.

Au Canada, les entreprises du S&P/TSX qui ont procédé à d’importants rachats d’actions (S&P/TSX Composite Buyback Index) ont obtenu un rendement total annualisé de 9,81 % depuis 10 ans, comparativement à 8,03 % pour les entreprises qui versent un dividende élevé (S&P/TSX Composite High Dividend Index).

Il y a aussi un biais de survie chez les investisseurs qui recherchent des dividendes élevés. Ceux qui ont obtenu de bons résultats depuis des décennies vont avoir une opinion favorable des dividendes. Mais ceux qui ont vu leur dividende sabré ou qui ont vu une chute notable de leurs titres en Bourse tendent à ne pas défendre cette façon de faire avec autant de passion.

Finalement, psychologiquement, un des effets positifs des dividendes est qu’ils sont versés même quand les marchés chutent. Les dividendes ont même continué à être versés après le krach boursier de 1929, et tout au long de la Grande Dépression !

Ne pas vendre parce qu’on sait qu’on va recevoir un dividende est une bonne façon de passer à travers des années noires en Bourse. Historiquement, ceux qui l’ont fait ont été bien servis dans les périodes subséquentes.

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