La vie et les histoires d’amour ne sont plus linéaires comme elles l’étaient il y a 70 ans, avec le mariage, l’achat de la maison et l’arrivée des enfants. Bien souvent, une personne achète une propriété seule. Puis, l’amour frappe et le désir de cohabiter se pointe. Mais que faire avec la résidence ?

La situation

Gabriel* a acheté un duplex à Montréal en 2016. Son copain, Étienne*, vit en appartement et, en juillet, il viendra s’installer dans l’immeuble. Le couple commencera alors des travaux pour transformer le duplex en maison unifamiliale. « Nous aimerions devenir copropriétaires, mais comme j’ai investi beaucoup d’argent dans l’immeuble dans les dernières années et qu’il a pris de la valeur, nous ne savons pas trop comment nous y prendre pour que ce soit équitable », indique Gabriel.

La situation de Gabriel et d’Étienne est courante, elle peut même sembler banale, mais elle implique plusieurs notions juridiques, fiscales et financières. « Il est fréquent que deux personnes avec des écarts de salaire et des mises de fonds différentes souhaitent acheter une propriété et il n’y a pas une recette à suivre pour tout le monde », indique d’emblée Nathalie B. Poisson, notaire, gestion de patrimoine, à la Financière des professionnels.

Elle souligne qu’il faut toujours analyser la situation au cas par cas et choisir la solution qui satisfait les deux personnes.

L’un des éléments importants dans leur cas est le fait qu’ils ne sont pas encore conjoints de fait. Pour le devenir, ils doivent faire vie commune depuis un an et l’indiquer dans leur déclaration de revenus. Comme l’un des appartements de l’immeuble était loué, Gabriel sera imposé sur le gain en capital de ce logement depuis le moment de l’achat, en 2016. Mais il ne sera pas imposé sur l’espace qu’il habite, puisqu’il bénéficiera de l’exonération fiscale pour la résidence principale.

« Mais si les deux sont conjoints de fait, Gabriel pourra faire un roulement à son conjoint, ce qui signifie que l’impôt à payer sur la portion locative sera reporté au moment de la vente éventuelle de l’immeuble », explique Me Poisson, qui conseille au couple de rencontrer son comptable fiscaliste avant de faire la transaction pour bien connaître l’impact fiscal.

De plus, Étienne n’aura pas de droits de mutation immobilière (« taxe de bienvenue ») à payer s’ils sont conjoints de fait.

Les chiffres

Salaire hebdomadaire brut de Gabriel : 2350 $

Salaire hebdomadaire brut d’Étienne : 1850 $

Calculer la somme investie par le propriétaire

Le couple devra ensuite regarder ce que Gabriel a investi dans l’immeuble depuis son acquisition en 2016 et ce que cela vaut aujourd’hui. « Il y a différentes façons de procéder et le couple doit consulter un notaire spécialisé dans ce genre de questions qui pourra lui proposer différents scénarios, indique Nathalie B. Poisson. Mais normalement, l’idéal est de faire voir la propriété par un évaluateur agréé. Ainsi, tous deux auront sa valeur marchande. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Nathalie B. Poisson, notaire, gestion de patrimoine, à la Financière des professionnels

Ensuite, pour calculer la dette d’Étienne, il faudra tenir compte de la juste valeur marchande de l’immeuble, du solde hypothécaire, du prix d’achat, des améliorations effectuées, ainsi que de l’amortissement sur la portion locative depuis l’acquisition. « Il faudra faire un calcul de ce que cela vaut en dollars d’aujourd’hui, indique Me Poisson. Puis, sera calculée, à partir de ce montant, la part de l’immeuble qu’Étienne achètera de même que, le cas échéant, le pourcentage que cette somme gagnera en valeur chaque année. »

Le couple pourra ensuite décider si Étienne remboursera sa dette à Gabriel dès maintenant, selon sa capacité de payer, ou seulement au moment de la vente de l’immeuble.

Ils devront bien sûr inscrire les détails de qui paie quoi dans un contrat de vie commune ou une convention d’indivision. « Puis chaque fois qu’Étienne rembourse un montant de sa dette, il est recommandé que Gabriel lui donne une quittance préférablement par acte notarié », précise Me Poisson.

Évaluer la capacité de payer de l’acheteur

Étienne devra ensuite prendre le temps d’évaluer sa capacité de payer pour déterminer s’il a les moyens d’acheter 50 % de la propriété de Gabriel, ou un pourcentage inférieur.

Malgré leurs pourcentages respectifs dans l’immeuble, Gabriel et Étienne devront être conscients que dans le contrat hypothécaire, l’institution financière exigera que les deux soient solidairement responsables à 100 % du prêt, ce qui signifie que si l’un des deux ne peut pas payer sa part, l’autre pourrait être appelé à le faire et cela risque de créer des frustrations.

Nathalie B. Poisson, notaire, gestion de patrimoine, à la Financière des professionnels

Pour déterminer sa capacité de payer, Étienne devra donc regarder les différentes charges liées à l’immeuble, comme l’hypothèque, les taxes, les frais d’entretien, la somme qui sera investie dans les rénovations, les sommes qu’il s’est engagé à rembourser à son conjoint s’il y a lieu, etc.

« Ensuite, Étienne doit regarder son revenu, ses autres dettes, ses économies à faire pour sa retraite et ses différents engagements financiers pour déterminer quelle part de l’immeuble il pourra acheter », explique la notaire.

Bien se protéger

Les deux conjoints doivent aussi penser à rédiger des documents qui les protégeront en cas de problème majeur. Bien sûr, il est conseillé de prévoir dans le contrat de vie commune ce qu’il adviendrait en cas de rupture.

« Normalement, on inscrit qu’un conjoint ne peut pas vendre sa part avant de l’avoir offerte à l’autre », affirme la notaire.

De plus, comme ils ne sont pas mariés, ils doivent réfléchir à ce qu’ils feront en cas de mort de l’un des deux. « S’ils veulent que leur part de l’immeuble aille à l’autre, ils doivent inclure dans le contrat de vie commune une clause de vente sous condition suspensive du décès, ce qui signifie que les héritiers du conjoint décédé n’auront pas le choix de vendre sa moitié de la propriété au conjoint restant », précise Nathalie B. Poisson.

Chaque conjoint peut aussi décider de léguer sa part à son conjoint en cas de mort, mais pour cela, chacun devra l’inscrire dans son testament.

La notaire conseille également de penser à faire un mandat de protection en cas d’inaptitude. « Par exemple, si un conjoint est dans le coma, son argent, même ce qu’il y a dans son compte conjoint, sera gelé, précise la notaire. L’autre conjoint aura besoin d’un mandat de protection pour pouvoir avoir accès à ses revenus pour payer les frais liés à la propriété. »

Enfin, il est bon de penser aux assurances vie et invalidité. « Par exemple, si, en cas de décès d’un des conjoints, celui qui reste a besoin d’acheter la part de l’autre à sa belle-famille, il devra avoir des liquidités, explique Nathalie B. Poisson. Puis il faut penser à ce qu’il arrivera en cas d’invalidité. Les assurances peuvent servir à protéger les deux conjoints de ces types de situations et de leur permettre de dormir sur leurs deux oreilles. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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