Comme si la crise dans le marché immobilier n’était pas encore assez désespérante, voilà qu’on nous annonce qu’il se construira cette année 40 % moins de logements locatifs et 23 % moins de maisons unifamiliales au Québec qu’en 2022. En pleine pénurie de logis, voilà qui est de très mauvais augure pour beaucoup de monde.

Les nouveaux couples, les immigrants, les étudiants, les jeunes diplômés, les ménages à faibles revenus, les aînés qui ne veulent plus entretenir une maison, les victimes de rénovictions et tous les autres qui cherchent à louer seront particulièrement frappés par ce recul majeur. Mais dans les faits, tous ceux qui cherchent à se loger en subiront les conséquences, surtout les jeunes qui rêvent d’acheter une propriété.

En tout, ce sont 40 000 nouvelles unités qui sortiront de terre, ce qui se compare à 57 107 l’an dernier. Il s’agit du plus faible nombre en sept ans, précise l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ).

Imaginez, seulement 8000 maisons seront construites dans les centres urbains – « un nouveau creux historique » – alors qu’il manquerait au moins 100 000 domiciles dans la province. Un chiffre qui ne tient même pas compte du fait que Québec veut accroître le nombre d’immigrants accueillis.

Mais justement, si la demande pour les logements est si forte, comment se fait-il que les entrepreneurs en construction ne remuent pas ciel et terre pour combler les besoins et encaisser un maximum de gains ? Parce que les coûts de construction et de financement ont bondi, m’a répondu Paul Cardinal, directeur du Service économique de l’APCHQ. Pour vendre ou louer à profit, les prix devraient bondir considérablement, mais il y a une limite à ce que les consommateurs peuvent payer.

Les entrepreneurs préfèrent donc attendre que les taux d’intérêt baissent avant de multiplier les projets. Le manque de main-d’œuvre ralentit aussi les ardeurs. Quant aux coûts de construction, ils se sont stabilisés dans la dernière année, mais demeurent 35 % plus élevés qu’au début de la pandémie.

Le raisonnement des entrepreneurs ne m’étonne guère dans le contexte où l’accès à la propriété n’a jamais été si difficile.

Pour accumuler la mise de fonds nécessaire à l’achat d’une maison à Montréal, il faut économiser 10 % de ses revenus bruts pendant 49 mois. C’est nettement au-dessus de la moyenne des deux dernières décennies, qui est de 29,5 mois. Même pour un simple condo, 31 mois de discipline budgétaire sont nécessaires, calcule la Banque Nationale. Pas étonnant qu’on ne se bouscule plus dans les bureaux de vente des tours de condos.

À Montréal, les prix élevés jumelés aux taux d’intérêt font en sorte que le ménage moyen doit désormais consacrer 54 % de ses revenus à son habitation, selon la RBC, un taux équivalant au record historique établi en 1995.

Devant un tel budget, bien des couples repoussent donc leur rêve d’acquérir un bungalow avec une petite cour verdoyante… ce qui accentue la pénurie d’appartements. Le bon vieux principe des vases communicants, quoi.

La situation est loin d’être évidente pour les plus jeunes. Et pas seulement à court terme. Les 3 ½ à 1800 $ par mois ont un impact sur leur santé financière à long terme, comme le rappellent les économistes de Desjardins. « Malheureusement, le fait d’être locataire durant une longue période entraîne des répercussions négatives considérables sur l’épargne à long terme et l’accumulation de richesse. »

CAPTURE D’ÉCRAN

Quelques logements à louer à Montréal

La valeur nette médiane des propriétaires approchant l’âge de la retraite (55 à 64 ans) était de 952 100 $ contre 40 000 $ chez les locataires, selon Statistique Canada (2019). L’écart est gigantesque.

La retraite de toute une génération risque donc d’écoper.

Cet enjeu ne serait pas aussi préoccupant si les employeurs offraient tous de généreux régimes à prestations déterminées. Mais ce n’est pas le cas. Les régimes qui assurent une retraite confortable et prévisible sont de plus en plus rares, ce qui accroît le besoin d’épargne personnelle. Comment y arriver quand 54 % de ses revenus bruts – pas nets – sont consacrés à son logement et que le prix de l’épicerie atteint des sommets historiques ? Les jeunes changent d’emploi pour améliorer leur sort ou déménagent vers des villes plus abordables, ce que le télétravail facilite, mais pas toujours de gaieté de cœur.

D’autres font le choix de rester chez leurs parents. Ils étaient un peu plus de 35 %, selon les statistiques les plus récentes, qui datent de 2021. Il ne serait pas étonnant que cette proportion ait bondi depuis.

L’abordabilité des logements influence même la « planification familiale », selon Desjardins. Certains jeunes retardent leur projet de fonder une famille et des femmes décident d’avoir moins d’enfants que souhaité pour des raisons financières.

Pourtant, les millénariaux n’ont pas couru après les ennuis. Les connaissances financières sont meilleures que celles des générations précédentes et ils sont plus nombreux à poursuivre des études postsecondaires, ce qui accroît la probabilité de jouir d’un revenu élevé. Ça ne veut pas dire que les générations précédentes n’en ont pas arraché elles aussi, mais je rappelle que l’inabordabilité des logements n’a jamais été aussi élevée.

Devant un tel portrait, il est grand temps que le gouvernement prenne davantage au sérieux la crise du logement et agisse pour accroître l’offre. Il doit miser sur le logement social et abordable, comme cela se fait ailleurs dans le monde. Il pourrait aussi favoriser la construction de « logements intermédiaires », une catégorie comprenant les duplex, les triplex, les quadruplex et les maisons en rangée. Ces logis ont le mérite de combler « l’écart » entre le condo et l’unifamiliale.

Ce n’est pas un caprice, de vouloir se loger, c’est un besoin essentiel.

Vous avez une histoire particulière d’immobilier à me raconter ? J’aimerais la lire.

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