Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici les dimanches.

J’ai remarqué un phénomène en matière d’épargne et d’investissement. Les gens qui ont fait de longues études, ont de gros revenus et occupent des emplois prestigieux ne sont pas meilleurs que tout le monde.

Ça m’a pris du temps avant de le comprendre.

Ça m’a pris du temps parce que c’est difficile de ne pas être intimidé par des gens qui gagnent des centaines de milliers de dollars par année.

Dans les conversations, ces personnes utilisent souvent des expressions comme « voyage de ski en Nouvelle-Zélande », « chalet au Mont-Sainte-Anne » et « rénovations plus coûteuses que prévu ». Elles se déplacent au volant de véhicules dont les pièces sont « longues à commander », et estiment que les prix des chambres d’hôtel en Europe cet été sont « complètement fous ».

Automatiquement, mon cerveau me dit : « Cette personne a compris comment fonctionne l’argent. Elle en gagne, elle en dépense, elle est riche. »

Pourtant, pratiquement chaque fois que j’ai l’occasion d’aller au-delà des apparences, j’en ressors avec les yeux gros comme des pièces de deux dollars.

J’étais persuadé d’avoir affaire à un maître Jedi de l’argent. Finalement, pas du tout.

Un ami me rapportait l’autre jour une discussion qu’il avait eue avec la responsable du financement d’un important concessionnaire de véhicules de prestige à Montréal dont je tairai l’identité.

Mon ami lui a demandé de lui décrire le client problématique type qu’elle rencontrait dans son bureau. Elle a souri, et lui a répondu : « Tu ne me croiras pas, mais mes pires clients sont souvent des médecins. »

Les médecins gagnent tellement d’argent, a-t-elle expliqué, qu’ils ne sentent pas le besoin de planifier, et s’endettent massivement au gré de leurs désirs et de leurs besoins.

Enfants au collège privé, restaurants chics, voyages au soleil : leurs cartes de crédit sont parfois tellement pleines qu’il ne reste plus de place dans leurs finances pour des choses comme la location d’un véhicule de prestige. Dans son bureau, certains médecins ont déjà été au bord des larmes en la suppliant d’approuver leur demande de prêt, a-t-elle affirmé.

Quand on gagne beaucoup d’argent et qu’on peut s’offrir presque tout ce qu’on désire, c’est facile de croire qu’on est libre financièrement.

C’est une illusion, bien sûr. Être libre financièrement, ça veut dire une chose, et une chose seulement : être maître de son temps.

Bien des gens qui ont de gros revenus ne sont absolument pas maîtres de leur temps. Ils ont besoin de leur prochain chèque de paye avec la même urgence que la personne qui gagne 30 000 $ par année.

L’auteur financier américain Ben Carlson écrivait récemment que les personnes qui gagnent beaucoup d’argent partent souvent du principe que leur réussite dans un domaine se traduira automatiquement par une réussite dans un autre domaine (comme l’investissement ou la gestion des finances).

« Malheureusement, ce n’est pas le cas, écrit-il. Je connais de nombreuses personnes fortunées qui sont de piètres investisseurs parce qu’elles sont trop sûres d’elles, ou parce qu’elles croient que leur niveau de richesse leur garantit l’accès à des moyens secrets de gagner de l’argent qui ne sont accessibles qu’aux personnes riches ou célèbres [un indice : il n’y a pas de secrets]. »

Une étude publiée en 2017 dans le Canadian Medical Association Journal a démontré que les médecins voulaient cesser de travailler à 60 ans en moyenne, mais qu’ils prenaient dans les faits leur retraite près d’une décennie plus tard, à 69 ans en moyenne, entre autres parce qu’ils n’avaient pas les moyens financiers de partir avant cet âge.

Lorsque notre œil voit un gros train de vie, il l’associe instantanément à la richesse. Or, un gros train de vie agit souvent comme un frein à l’enrichissement, car l’argent dépensé ne revient jamais et ne peut se multiplier pendant des décennies dans des placements financiers – placements que notre œil ne voit pas.

Comme l’a récemment écrit mon ami Jean-Sébastien Pilotte, auteur du blogue Le jeune retraité1 : « Le dollar placé dans des actions d’Apple il y a deux décennies a bossé dur. Il a même fait des heures supplémentaires ! Assez pour me payer un mille-feuille ET un billet d’avion Montréal-Paris. »

Jean-Sébastien ne blague pas : un dollar investi dans Apple en 2003 vaut 757 $ aujourd’hui. Mais 1 $ investi dans un produit Apple en 2003 ne vaut plus rien aujourd’hui.

Je ne veux pas donner l’impression que les gens qui ont de gros revenus n’ont pas de richesse. Au contraire, les statistiques nous montrent que plus une personne gagne un gros salaire, plus sa valeur nette, soit la somme de ses actifs moins la somme de ses dettes, est élevée.

Or, cette richesse est bien souvent enfermée dans un régime de retraite. Le problème avec le fait de se fier à son régime de retraite pour s’enrichir, c’est qu’il faut attendre après l’âge de 65 ans pour en profiter. Vous êtes épuisé et voulez ralentir la cadence ? Viser une carrière moins payante ? Travailler à temps partiel ? Sans épargne, c’est impossible : les chiffres n’arrivent tout simplement pas.

Et donc, quand le lundi matin arrive, vous n’avez pas le choix : le bureau vous attend.

En matière de richesse, il n’y a pas de raccourci. Qu’on touche un gros ou un petit salaire, qu’on roule en Land Rover ou en Toyota, la seule façon de s’enrichir est d’avoir une différence entre ses revenus et ses dépenses, et d’investir cette différence pour la faire croître à long terme.

Tout le reste n’est qu’apparence.

Parlant d’investissement, les trois premiers mois de l’année 2023 sont déjà derrière nous. Ils nous ont notamment fait vivre l’écrasement de la Silicon Valley Bank aux États-Unis, et du géant Credit Suisse en Europe. Pourtant, l’indice du S&P 500 aux États-Unis est en hausse de près de 7 % depuis le début de l’année, alors que l’indice du NASDAQ a grimpé de 16 %. La Bourse de Toronto est en hausse de près de 4 %, tandis que les actions internationales ont connu une croissance de près de 6 %.

Ceux qui ont paniqué ont perdu. La marche à suivre, encore une fois, était de fermer les yeux, de se boucher les oreilles et de rester investi. Tellement simple. Tellement difficile.

1. Consultez le blogue du Jeune retraité

La question de la semaine

Avez-vous déjà fait des dépenses que vous regrettez aujourd’hui ?

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