Beaucoup d’entrepreneurs québécois vont vendre au cours des prochaines années l’entreprise qu’ils ont mis une vie entière à bâtir parce qu’ils n’ont pas de relève souhaitant prendre en main les opérations au quotidien. Pour tempérer le risque que beaucoup de nos belles PME passent en mains étrangères, les entreprises familiales doivent apprendre à garder le contrôle de l’actionnariat tout en déléguant la gestion.

Il y a trois semaines, j’ai écrit une chronique sur une initiative de l’École d’entrepreneurship de Beauce visant à former de façon accélérée 1000 repreneurs et cédants d’entreprises au cours des cinq prochaines années.

Il s’agissait de lancer un blitz et de sensibiliser le milieu des affaires québécois au fait que ce sont quelque 34 000 entreprises qui vont changer de mains au cours des 10 prochaines années en raison du départ à la retraite de leur fondateur ou opérateur.

C’est au cours de cette visite en Beauce que j’ai rencontré Martin Rancourt, un entrepreneur de Saint-Georges, qui a vécu la vente prématurée de son entreprise et les regrets que cela a engendrés.

Je voulais prendre ma retraite à 50 ans. C’était cool de dire qu’on arrête tout à 50 ans. Après un an et demi, j’ai racheté une entreprise et je veux qu’elle reste dans le patrimoine familial.

Martin Rancourt, propriétaire de Location de Beauce

Propriétaire d’une firme de marketing et coactionnaire de Maximetal, un gros constructeur de véhicules d’incendie, il a vendu ses deux participations à quelques mois d’intervalle.

« C’est beau au début. Tu t’achètes une érablière, tu fais des investissements boursiers, tu fais un peu d’immobilier parce que tout le monde te dit d’en faire, tu embarques dans Anges Québec, mais au bout du compte, tu es aussi occupé qu’avant, mais dans huit patentes différentes », résume-t-il.

C’est comme ça qu’il décide de racheter Location de Beauce de Saint-Georges, une entreprise de location d’outils dont il a ouvert une deuxième succursale à Lévis. Martin Rancourt a convaincu son fils de se joindre à lui dans l’actionnariat de Location de Beauce, pas à titre d’opérateur, mais bien de simple actionnaire-propriétaire.

« En Europe, un commerce comme le nôtre se passe de génération en génération. Pourquoi vendre et s’éparpiller ? Mon fils est ingénieur chez Manac, il ne veut pas opérer le centre de location, mais ça va être un jour sa propriété et celle de ses enfants qui n’auront pas non plus à l’opérer, c’est comme ça qu’on peut pérenniser nos entreprises », explique Martin Rancourt, qui est aussi un entraîneur-formateur à l’EEB.

Un exemple industriel

Toujours en Beauce, à Sainte-Justine, la famille Cayouette, qui prépare le transfert de son entreprise Rotobec à une troisième génération de la famille, a elle aussi appris qu’on pouvait rester actionnaire de contrôle d’une entreprise sans devoir nécessairement en être le gestionnaire en chef.

Marcel Cayouette a fondé dans son garage de mécanique générale en 1975 l’entreprise Rotobec qui fabrique des équipements lourds de manutention, dont un grappin industriel révolutionnaire.

L’entreprise compte aujourd’hui 500 employés dans trois usines, dont deux au New Hampshire. L’entreprise exporte ses produits dans 50 pays.

Dès 1988, Marcel Cayouette a compris qu’il avait besoin d’une équipe pour l’entourer et il partage des actions avec cinq collaborateurs de premier plan. Il nomme plus tard un directeur général, Robert Bouchard, qui devient PDG et qui reste en poste même si ses trois enfants, Sylvain, Richard et Benoît, travaillent à l’usine.

Les trois frères, on est tous aujourd’hui à la retraite et on a un nouveau PDG depuis 2019, Julien Veilleux, qui est avec nous depuis 15 ans.

Sylvain Cayouette, de Rotobec

Il est devenu actionnaire de Rotobec et il est le représentant de la génération 2,5, il est celui qui prépare la 3génération », explique Sylvain Cayouette, dont les deux filles travaillent pour l’entreprise.

« On a cinq de nos enfants qui sont chez Rotobec et deux qui sont encore aux études. On reste actionnaires, mais on va transférer nos actions à nos enfants dans quelques années. On ne va pas leur vendre, on veut que l’entreprise poursuive son développement et on compte sur le management en place pour la suite des choses. »

Selon Martin Rancourt, il y a moyen de garder québécoise la propriété de beaucoup d’entreprises familiales si on accepte que le ou les actionnaires familiaux ne soient pas nécessairement les opérateurs.

« Si les enfants de mon fils veulent étudier la musique, ils n’auront qu’à le faire. Il faut juste leur apprendre à lire et comprendre un bilan financier et à organiser un conseil d’administration, ils n’ont pas à diriger quotidiennement les opérations », plaide-t-il.

L’imprévisibilité des marchés boursiers et la forte concentration de capitaux dans le secteur des technologies ont ravivé l’intérêt des grands groupes financiers du monde entier à l’endroit des belles entreprises privées qui sont bien gérées et qui ont toujours un bon potentiel de rendement.

La semaine dernière, la division d’investissements privés de la banque Goldman Sachs a annoncé qu’elle entendait faire passer de 130 milliards à 300 milliards la valeur du portefeuille de ses participations privées au cours des cinq prochaines années. Les requins ont faim et il y a plein de petits poissons qui pourraient être trop facilement avalés.