Alors qu’un nombre sans précédent de propriétaires passeront le flambeau de leur entreprise au cours des prochaines années au Québec, à peine quatre sur dix ont un plan de relève. Ce manque de préparation préoccupe les experts, qui estiment qu’on doit outiller les cédants afin qu’ils traversent avec succès ce long processus.

Julie Roy a pris en 2013 les rênes de l’entreprise familiale fondée par son grand-père 60 ans plus tôt. Ce changement de garde culmine des années d’apprentissage, de formation et d’expériences.

« J’ai cet intérêt depuis que je suis toute petite. Je me souviens qu’à 7 ans, ma mère m’avait forcée à faire le tour des bureaux pour jaser avec les employés », raconte la dirigeante de l’entreprise offrant des services d’entretien d’immeubles.

Son père, Jean-Yves Roy, avait posé trois conditions à sa reprise de l’organisation : elle devait poursuivre des études qui lui « donneraient la légitimité pour le poste auquel elle aspirait », travailler un été sur deux chez Roy ou acquérir de l’expérience ailleurs et, enfin, trimer dur.

La cheffe d’entreprise a suivi ses conseils à la lettre. Depuis qu’elle est aux commandes, elle a modernisé l’entreprise tout en préservant les valeurs prônées par ceux qui l’ont précédée. « J’ai investi dans la technologie et choisi des gens plus compétents que moi pour m’entourer, mais je continue à investir dans nos employés, dans la formation, pour créer la meilleure expérience client. »

Julie Roy nourrit désormais de grandes ambitions : elle veut révolutionner le monde de l’entretien ménager. Rien de moins.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Depuis qu’elle est aux commandes de Roy, Julie Roy a modernisé l’entreprise de services d’entretien d’immeubles tout en préservant les valeurs prônées par ceux qui l’ont précédée.

Une kyrielle de questions

L’histoire à succès des Roy ne reflète malheureusement pas l’état des lieux au Québec. « La majorité des propriétaires qui céderont leur entreprise dans la prochaine décennie n’ont pas de plan formel. Pourtant, il y a plusieurs étapes et défis à affronter », souligne Geneviève Turbide-Potvin, première vice-présidente, entreprise et gestion privée pour le Québec et l’est de l’Ontario, à la Banque Nationale.

Même son de cloche du côté du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ). « Évoquer qu’on veut vendre notre entreprise peut parfois être très insécurisant », convient le PDG Alexandre Ollive.

Le CTEQ s’affaire donc à sensibiliser les propriétaires et les repreneurs à la question, à leur offrir toute l’information nécessaire et à leur donner accès à des fiscalistes, à des comptables et à d’autres experts. Il a également créé l’INDEX, une plateforme qui permet aux vendeurs d’afficher leur entreprise à vendre de façon confidentielle et aux acheteurs de présenter leur profil d’entrepreneur.

Consultez le site web de l’INDEX

Que l’on transfère son entreprise à l’interne, à l’externe ou dans la famille, il n’existe pas de recette gagnante pour la passation des pouvoirs. Les experts s’entendent néanmoins pour dire que la préparation est la clé.

Ça soulève des centaines de questions : quand est-ce que je veux partir ? À qui je veux vendre ? Quel sera mon rôle dans l’organisation ? Comment va-t-on transférer la culture d’entreprise ? Ce n’est pas seulement une transaction, c’est un processus émotif.

Alexandre Ollive, PDG du CTEQ

Miser sur l’accompagnement

Geneviève Turbide-Potvin suggère fortement de se faire accompagner par un spécialiste pour garder la démarche la plus objective possible. « On néglige ce que ça fait, céder le travail d’une vie », croit-elle.

Le CTEQ abonde dans le même sens. « La notion d’expert est importante. La pire erreur, c’est d’improviser. Si vous rencontrez des repreneurs potentiels sans être prêt, sans avoir des états financiers en ordre, vous allez user des négociations qui pourraient autrement très bien se passer. »

Julie Roy a pour sa part été épaulée par la communauté d’entrepreneurs EntreChefs PME. « J’ai été approchée par ce réseau d’entraide quand j’étais la relève identifiée de l’entreprise. Chaque mois, je rencontrais des gens dans la même situation que moi. »

Consultez le site web d’EntreChefs PME

Elle a également convaincu son père d’adhérer à son propre regroupement. « Pendant que j’apprenais à me faire confiance, il comprenait qu’il devait me laisser du lousse. »

Tant le CTEQ que Geneviève Turbide-Potvin se réjouissent par ailleurs de la création par l’École d’entrepreneurship de Beauce du Mouvement Propulsion Repreneurship. Ce programme compte préparer et former 1000 repreneurs et cédants d’ici cinq ans.

« C’est une excellente initiative, estime Alexandre Ollive. On doit collectivement développer une culture du repreneuriat au Québec en misant sur des formations, en sensibilisant les jeunes et en mettant en valeur des gens qui l’ont vécu. Comme je dis toujours, reprendre, c’est entreprendre. »

Consultez la site web du Mouvement Propulsion Repreneurship

Le transfert d’entreprise en chiffres

À peine 42,6 % des propriétaires ont identifié une relève. Cette proportion grimpe à 51,4 % pour les entreprises familiales.

La moitié des propriétaires qui comptent transférer leur entreprise ne connaissent pas la valeur marchande de celle-ci.

Seuls 30,8 % des propriétaires ont eu recours à ce jour à au moins un expert extrerne dans le processus de transfert.

Source : Indice entrepreneurial québécois 2022