Contrairement aux concepteurs de jeux vidéo qui ont poussé les hauts cris à la suite du resserrement de certains critères d’admissibilité aux crédits d’impôt annoncé dans le dernier budget du Québec, les entreprises de technologies de l’information (TI) semblent mieux composer avec les nouveaux paramètres qui vont dorénavant régir le crédit pour le développement des affaires électroniques.

Le soir même de la présentation du budget, la Guilde du jeu vidéo du Québec réclamait une rencontre avec le premier ministre François Legault afin de lui expliquer les dommages que le resserrement des règles d’attribution des crédits d’impôt pour la production de titres multimédias allait causer à la majorité des petits studios émergents de propriété québécoise.

Les grands acteurs de l’industrie, tels Ubisoft ou Warner Bros., sont restés pour leur part discrets depuis le dévoilement des nouvelles règles d’admissibilité aux crédits d’impôt remboursables.

Essentiellement, Québec va réduire d’ici cinq ans les crédits d’impôt remboursables de 37,5 % à 27,5 % et instaurer un crédit d’impôt de 10 % non remboursable qui va être accordé seulement aux entreprises de jeux vidéo qui paient des impôts.

C’est essentiellement la même grille que Québec a mise en place pour les entreprises de technologies de l’information qui bénéficiaient du crédit d’impôt pour le développement des affaires électroniques, mais avec des taux différents de ceux de l’industrie des jeux vidéo, m’a expliqué Stéphane Leblanc, associé en fiscalité chez E&Y.

Le crédit d’impôt remboursable sur le salaire des employés, qui était de 24 %, sera réduit à 20 % d’ici 2028, alors que le crédit non remboursable de 6 % qui existait déjà sera majoré à 10 % d’ici cinq ans pour les entreprises qui paient des impôts. Si une entreprise ne paie pas d’impôt, elle n’aura droit dans cinq ans qu’au crédit remboursable de 20 %.

« Ces changements sont tout à fait vivables », me dit François Dion, PDG de Levio, une firme de TI de Québec fondée en 2014 et qui s’implique auprès de ses clients dans des projets de transformation numérique, là où les entreprises québécoises ont encore du rattrapage à faire en matière de productivité.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le PDG de Levio, François Dion, en 2019

Québec resserre un peu les crédits remboursables pour hausser les crédits non remboursables, afin de pouvoir imposer les entreprises étrangères qui sont un centre de coûts et qui ne paient pas d’impôt. Si elles veulent avoir droit aux crédits non remboursables, elles vont devoir facturer leur maison mère en conséquence, évalue François Dion.

Levio emploie 2000 personnes, dont plus de 1500 au Québec, où l’entreprise paie des impôts, et elle sera donc en mesure d’absorber les changements de taux entre crédits remboursables et crédits non remboursables.

Une industrie à développer

Les crédits d’impôt pour la production de titres multimédias et pour le développement des affaires électroniques ont vu le jour au début des années 2000 parce qu’on voulait permettre au Québec de rattraper la révolution numérique, de créer une masse critique d’experts et même d’ambitionner de devenir un catalyseur de ce qu’on appelait la nouvelle économie.

Ce qui a été plutôt bien réussi dans le domaine des jeux vidéo où le modèle fiscal québécois a permis l’implantation de grands studios et a été reproduit ailleurs au pays, à Vancouver et à Toronto, et dans le reste du monde, notamment en Australie et en Allemagne. Dans le domaine des TI, des entreprises comme CGI ont littéralement pris le monde d’assaut.

Depuis une dizaine d’années, avec le développement accéléré des technologies de l’information dans toutes les sphères de l’activité humaine et économique, on a remis en question la pertinence du modèle en raison de la pénurie de développeurs ou de programmeurs qui ne va qu’en augmentant.

Une entreprise comme la banque américaine Morgan Stanley a profité du crédit pour le développement des affaires numériques pour racheter, en 2008, une firme montréalaise de TI qui comptait 200 employés. Aujourd’hui, le centre technologique montréalais de Morgan Stanley compte quelque 2800 collaborateurs.

Il était temps que Québec revoie et recentre son généreux programme de crédits d’impôt, qui a toutefois permis aux entreprises d’ici de rester concurrentielles par rapport aux firmes de pays émergents comme l’Inde ou le Maroc.

Pour les firmes de TI qui paient des impôts au Québec (tout comme les développeurs de jeux vidéo), les changements apportés par le ministre Eric Girard auront quand même un certain impact financier parce qu’on a introduit un seuil d’exclusion de 18 056 $ dès 2024, à partir duquel le salaire des employés sera admissible au crédit d’impôt.

Selon François Dion, ce seuil minimum de 18 056 $ va se traduire par une hausse de 10 à 15 % des coûts de main-d’œuvre auprès des jeunes professionnels qui gagnent moins de 90 000 $ par année.

« On va obtenir un crédit d’impôt moins important pour nos jeunes employés, mais Québec a déplafonné le salaire maximal, ce qui veut dire qu’on va pouvoir aller chercher des gens très qualifiés pour réaliser des projets de transformation numérique plus complexes, et leur salaire va être pleinement admissible.

« On a toutefois besoin des jeunes et on doit développer de nouveaux talents, on va continuer de la faire », assure le PDG de Levio.