Les caisses de retraite devraient prioriser l’investissement au Canada, plaident les PDG de grandes entreprises canadiennes qui estiment que le volume de transactions sur leur titre boursier souffre du désintérêt des grands acteurs institutionnels qui préfèrent détenir massivement des actions étrangères dans leur portefeuille de placements.

C’est la réalité implacable que déplorent les associés de la firme de gestion d’actifs Letko Brosseau, appuyés par les PDG d’une centaine de grandes entreprises telles que Couche-Tard, Bombardier ou Québecor, comme nous l’explique mon collègue Richard Dufour.

Ces acteurs sur les marchés boursiers veulent nous sensibiliser au fait que les caisses de retraite canadiennes détiennent aujourd’hui moins de 4 % d’actions canadiennes dans leur portefeuille global alors que ce pourcentage était autour de 28 % au début des années 2000.

Le désinvestissement de nos grands acteurs institutionnels dans les actifs canadiens au profit d’actifs étrangers est un mouvement qui affecte indéniablement la vigueur du marché boursier canadien.

Les volumes moins importants de transactions affectent la valeur de certains titres qui se trouvent à être moins liquides que leurs équivalents dans d’autres marchés plus actifs. Les faibles volumes de transactions les rendent moins attrayants que d’autres vedettes des marchés boursiers.

L’absence de soutien des grandes caisses de retraite à l’endroit des sociétés publiques canadiennes affecte aussi ces entreprises en augmentant leur coût de capital puisqu’elles n’arrivent pas à se valoriser de façon optimale.

Remarquez que ce n’est pas le cas pour une entreprise comme Couche-Tard, qui bénéficie d’une très large exposition aux marchés boursiers américains et d’une belle visibilité en Europe, via sa forte présence commerciale.

Mais on comprend aisément qu’Alain Bouchard aimerait profiter d’un plus large soutien des grands acteurs institutionnels canadiens dans son marché d’origine où l’entreprise assure toujours une forte présence et un grand rayonnement.

On est loin du temps où on pouvait défendre les profits exorbitants des grandes banques canadiennes en expliquant que cette profitabilité miraculeuse profitait à tous les travailleurs canadiens puisque toutes les grandes caisses de retraite canadiennes détenaient des actions de ces banques dans leur portefeuille et qu’ils allaient pouvoir en profiter à leur retraite.

Nos caisses de retraite détiennent encore certainement toutes des actions des grandes banques canadiennes dans leur portefeuille, mais la contribution de ces dernières au rendement global des caisses de retraite n’a assurément pas la même importance qu’elle pouvait avoir il y a 25 ans.

Il y a deux semaines, l’action du fabricant de microprocesseurs américain Nvidia a enregistré une valorisation boursière de 277 milliards US, en une seule séance. Ce qui est l’équivalent de trois fois la valeur du CN qui est pourtant l’une des plus grandes sociétés canadiennes négociées à la Bourse de Toronto. On n’est pas dans la même ligue.

Des marchés dominants

L’absence manifeste de nationalisme économique des grandes caisses de retraite et leur penchant tout aussi manifeste à privilégier les actifs étrangers coïncident aussi avec les mauvaises performances relatives que le marché canadien ne cesse d’encaisser depuis la fin des années 1990.

Leur détachement vis-à-vis des actifs canadiens nous rappelle que les spécialistes de l’investissement n’arrêtent pas depuis des années de répéter à leurs clients combien il est important de diversifier géographiquement ses placements, qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

D’autant, nous a-t-on toujours enseigné, que le Canada représentait moins de 3 % du potentiel de rendement boursier mondial, qu’il fallait investir ailleurs pour espérer obtenir des rendements conséquents.

Les gestionnaires de caisse de retraite privilégient depuis une quinzaine d’années les marchés boursiers étrangers parce que ces derniers surpassent – et de façon outrageuse – le marché canadien.

Du mois d’août 2011 au mois de février 2024, l’indice MSCI Canada a généré en dollars canadiens un rendement de 69,8 %, alors que l’indice MSCI Monde a produit, toujours en dollars canadiens, une plus-value de 282,9 %.

Les gestionnaires de caisse de retraite veulent obtenir des rendements et manifestement les marchés étrangers ont réussi à en produire quatre fois plus depuis la crise de 2008-2009.

Le marché boursier canadien est moins prévisible parce qu’il repose sur des composantes – notamment l’énergie et l’or – dont on peut difficilement prévoir le comportement. Les caisses de retraite veulent plutôt assurer leurs arrières en privilégiant les titres d’entreprises qui sont en mesure de livrer des profits.

À la suggestion de l’associé Daniel Brosseau, de la firme Letko Brosseau, le gouvernement pourrait effectivement accorder certains avantages aux gestionnaires de caisse de retraite qui privilégient les actions canadiennes, afin de raviver un peu leur nationalisme économique.

Mais ce sera toujours la capacité des entreprises à livrer des profits et donc à générer des rendements qui va rester le critère fondamental conduisant les caisses de retraite à investir là où elles le souhaitent.