Comme l’amour, l’argent est une source inépuisable d’émotions de toutes sortes. Il y a des moments d’euphorie en gagnant au loto, de colère si on s’en fait voler, d’injustice, d’insécurité. Mais c’est connu, les entreprises n’ont pas de sentiments, même lorsqu’elles gèrent nos économies.

Je vous parlais la semaine dernière d’un client d’IG Gestion de patrimoine qui, 17 ans après ses premiers investissements auprès de cette institution, a découvert que son conseiller financier ne s’occupait plus de lui. L’homme de 83 ans a appris par courriel que son dossier avait été transféré vers IG Gestion connectée, un centre de services joignable par internet ou en composant un numéro 1 866.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Edmond Grignon, 83 ans

Son histoire a touché une corde très sensible chez les épargnants, si je me fie à la teneur des messages que vous m’avez transmis.

« Nous sommes un couple qui a vécu la même situation. Contrairement à l’explication du représentant d’IG, il n’y a pas de discussion. On nous met devant les faits. On n’a pas eu le choix. Seule différence, c’est mon représentant qui nous a largués par téléphone. On se sent trahis après une relation de confiance qui dure depuis plus de 37 ans avec IG », m’a écrit M. Lussier.

Renée Blouin m’a raconté que sa sœur et elles, âgées respectivement de 84 et 83 ans, ont été fort « déstabilisées » et « déçues » par le transfert inopiné de leur compte.

Tu te sens mise de côté. Jetée. Je sais que je ne suis plus payante, mais je l’ai été pendant 23 ans. Ils peuvent bien me garder encore un petit bout !

Renée Blouin

L’octogénaire qui détenait environ 50 000 $ soulève un point très pertinent : « Quand nos fonds diminuent et qu’on avance en âge, c’est facile de se sentir insécure. C’est là que le fait d’avoir un conseiller qui nous connaît et avec qui nous pouvons parler face à face devient important. » Quand on voit à quel point les aînés dénoncent les fermetures de guichets automatiques de Desjardins, il est évident que les priver du droit à un service personnalisé sera très mal accueilli.

Selon Carl Thibeault, vice-président principal Québec et Atlantique d’IG Gestion de patrimoine, M. Grignon a été victime d’une « erreur » puisque personne n’est « poussé » vers IG Gestion connectée contre son gré. Il m’a aussi affirmé qu’il n’y avait « pas de minimum » d’actif requis pour conserver son conseiller financier. La décision de « proposer » le transfert du dossier vers IG Gestion connectée dépend plutôt de la complexité des dossiers. « Quelqu’un pourrait avoir 22 000 $ ou 12 000 $ et avoir une situation très complexe. Tandis que quelqu’un pourrait avoir 200 000 $ et une situation très simple et avoir un alignement de traitement avec IG Gestion connectée. »

Comment fait-on, au juste, pour prédire que les besoins financiers d’un client seront simples ou complexes à moyen ou long terme ?

Les institutions financières ont depuis longtemps démontré leur capacité à nous inonder d’offres alléchantes pour leur carte de crédit. Ma banque m’envoie toujours un courriel en janvier pour m’encourager à participer à cette invention du marketing qu’on appelle la « saison du REER ». Pour mettre un terme à une relation entre deux humains, elles semblent moins compétentes.

Client de Desjardins, M. Bérubé a été victime d’un « manque de finesse dans les relations clients », pour reprendre ses mots. Son conseiller, qu’il appréciait, est passé à la gestion privée. Un grand classique ; les plus performants empruntent souvent cette voie.

« Je n’ai pas été prévenu. Je suis content pour lui. Cependant, j’ai trouvé que lui et son organisation auraient pu au moins envoyer une communication générique à ses clients pour nous en faire part. J’ai transféré environ 500 000 $ ailleurs suite à cela. »

Surprise ! Quand un client est déçu, qu’il ne se sent pas important et perd confiance, il peut divorcer malgré tout le temps et l’énergie que ça implique.

C’est ce qu’a fait Luc Gaudet, après avoir reçu le même courriel d’IG qu’Edmond Grignon à la mi-janvier. Client depuis une dizaine d’années, il a immédiatement appelé son conseiller pour lui faire part de sa déception, sa colère et ses plans.

J’ai formellement désapprouvé et interdit le transfert, lui disant qu’ils recevraient sous peu mes instructions en vue du transfert vers une autre institution.

Luc Gaudet

Le hic, c’est que la manœuvre ne fut pas gratuite. « Ce qui ajoute à l’insulte, c’est que des frais de transfert [de 135 $] m’ont été imposés. J’ai été jeté par mon conseiller et je dois en plus débourser pour reprendre mes droits sur mon argent. Je pense également à porter plainte à l’AMF [Autorité des marchés financiers]. » Luc Gaudet déplore cette rupture imposée, car il prévoyait démobiliser son CRI (compte de retraite immobilisé) de 63 000 $ pour en tirer une rente pendant une année sabbatique, un besoin qui est « assez complexe », dit-il en référence aux propos du haut dirigeant d’IG.

Cette histoire soulève évidemment des enjeux de revenus et de rémunération dans le monde de la finance. Les institutions financières ne sont pas des OBNL. Et les conseillers financiers ne font pas de bénévolat. Ils doivent gagner leur vie et on peut difficilement leur reprocher de préférer les comptes les plus lucratifs, dans le contexte où ils ne peuvent s’occuper d’un nombre illimité de clients.

Mais les clients de longue date, particulièrement les aînés en mode décaissement dont les épargnes fondent sans cesse, méritent que leur historique soit reconnu. Une simple question de respect.

1. Lisez « Son conseiller financier l’abandonne par courriel »