Avez-vous déjà été largué par courriel ? C’est ce qui est arrivé, en quelque sorte, à un client d’IG Gestion de patrimoine. Près de 17 ans après un premier investissement de 57 000 $, Edmond Grignon a découvert qu’il ne pouvait plus parler à son conseiller financier. L’homme de 83 ans doit plutôt apprendre à se débrouiller avec un « nouveau modèle de collaboration ».

« Votre compte IG Gestion connectée est désormais configuré », a appris l’octogénaire en ouvrant son ordinateur, début janvier.

Sans comprendre ce que ça voulait dire, faute d’explications, il a composé le numéro de téléphone inscrit dans le message pour apporter un changement important à son compte qu’il voulait faire depuis quelques semaines. On lui a répondu qu’il serait rappelé huit jours plus tard, ce qui n’est pas particulièrement rapide, admettons-le.

Au moins, la promesse a été tenue. Une femme lui a téléphoné. Elle devait prendre les choses en main. Mais au bout d’un mois, le changement souhaité n’était toujours pas effectué. Elle n’a pas laissé de numéro de téléphone, seulement une adresse courriel.

Edmond Grignon s’est mis à s’inquiéter. « J’ai paniqué. Est-ce possible que tout ça soit un coup monté ? Est-ce une arnaque ? Vous savez, j’ai perdu du sommeil. Je suis une vieille personne. J’ai stressé beaucoup trop. C’est le seul argent qu’il me reste, et là, de ne pas pouvoir parler, simplement communiquer avec quelqu’un… »

Il a repris le téléphone, cette fois pour appeler directement son conseiller financier depuis 2007. C’est ainsi qu’il a appris qu’il ne pouvait plus lui parler. « Sa secrétaire m’a dit : “Votre dossier n’est plus ici, car vous ne remplissez plus les critères nécessaires en termes de montant pour avoir un représentant. Vous êtes maintenant avec Winnipeg.” C’est comme ça que j’ai compris que c’était une affaire d’argent. »

Edmond Grignon n’a pas su à combien ce minimum s’élevait, mais ses 81 000 $ n’étaient de toute évidence pas suffisants pour conserver son conseiller, a-t-il compris.

C’est difficile à croire, mais le courriel générique transmis à Edmond Grignon début janvier annonçant que son compte avait été « officiellement transféré à IG Gestion connectée » n’explique pas de quoi il s’agit. Le site web d’IG ne contient pas davantage d’informations sur le sujet. Et Google ne m’a été d’aucun secours pour comprendre. C’est comme si ça n’existait pas. Avouez que ce n’est pas très rassurant.

J’ai discuté avec Carl Thibeault, vice-président principal Québec et Atlantique d’IG Gestion de patrimoine, pour qu’il m’explique en quoi consiste ce nouveau « modèle de collaboration ».

En gros, IG Gestion connectée est un groupe de professionnels des finances mis au service des clients ayant des besoins peu complexes qui ne nécessitent pas l’intervention d’un planificateur financier. Ça fonctionne comme un groupe de médecin de famille (GMF) : lorsqu’on appelle, n’importe quel employé traite la demande formulée en fonction de l’expertise requise. Deux ans après sa création, le système est encore « en rodage ». Mais le « but » est de répondre « rapidement » aux clients. Non, huit jours, ce n’est pas un délai rapide pour rappeler, juge Carl Thibeault.

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Carl Thibeault, vice-président principal Québec et Atlantique, IG Gestion de patrimoine

Informé de l’histoire d’Edmond Grignon, le dirigeant m’a assuré que « les gens ne sont pas forcés d’aller là-dedans », que la décision est prise avec le conseiller financier après discussion et que la valeur des placements n’est pas déterminante, contrairement à ce qui a été communiqué à Edmond Grignon. Mais des erreurs peuvent survenir, et la communication dans le cas qui nous occupe n’a clairement pas été « adéquate ».

C’est assurément très insécurisant. Vous décrivez la situation qui ne doit pas se passer. Ça peut être totalement insécurisant, surtout quand on se fait dire qu’on n’a plus l’information. Je comprends totalement que ce soit désemparant pour la personne. Ce n’est pas ça du tout le but.

Carl Thibeault, vice-président principal Québec et Atlantique d’IG Gestion de patrimoine

J’ai déjà déploré dans cette chronique le difficile accès, pour le commun des mortels, à des conseils financiers impartiaux et de qualité, ainsi que l’effritement du service à la clientèle. Même si Edmond Grignon a été victime d’une « erreur », son histoire met en lumière l’importance de la stabilité et du contact humain lorsqu’il est question d’argent.

Un mois après sa demande, Edmond Grignon a fini par recevoir de Winnipeg, où se trouve le siège social d’IG, un document à remplir pour apporter des changements à son dossier. Irrité et stressé par le fonctionnement d’IG Gestion connectée, il a porté plainte à l’Autorité des marchés financiers et décidé de fermer son compte chez IG. Mais les démarches, par courriel, par télécopie et par lettres ont pris plus de temps et d’énergie qu’attendu.

« J’ai déjà été comédien à Radio-Canada et j’ai maintenant l’impression d’être la vedette d’un scénario invraisemblable ! Ne pensez-vous pas qu’une personne de mon âge a besoin de parler à quelqu’un ? », demande, exaspéré, celui qui a joué dans Rue des Pignons. À cette question, je réponds : non seulement il est insensé qu’un conseiller financier coupe les liens avec un client de si longue date, mais il est aussi inadéquat de le lui annoncer dans un courriel laconique qui suscite autant de questions que d’inquiétudes.

Au moins, Carl Thibeault en convient avec empathie. Et IG a fermé le compte, la semaine dernière. Espérons maintenant que les déboires d’Edmond Grignon éviteront à d’autres clients de vivre une rupture-surprise avec leur conseiller de longue date… par écrit.