Marginal il y a une décennie, l’achat d’un téléphone cellulaire usagé est maintenant une pratique bien établie au Québec, avec un écosystème florissant de revendeurs, de plateformes entre particuliers et même de fournisseurs comme Vidéotron et Rogers. Mais attention, avec des économies faciles viennent des risques. Quelques conseils.

Un iPhone 13 usagé à 600 $ sur le site du revendeur Recycell, plutôt qu’à 849 $ neuf chez Apple. Un Galaxy S23 avec « quelques microégratignures » vendu 799,95 $ chez Secondcell, plutôt que 1099,99 $ sur le site de Samsung.

Pas besoin d’une grande thèse pour confirmer que l’achat d’un téléphone usagé est une belle occasion d’économiser. Et une occasion d’affaires sur laquelle bien des entreprises ont sauté, a constaté Jean-Sébastien Roy, président de SecondCell, établi à Saint-Jean-sur-Richelieu. « On voit qu’il y a beaucoup plus de joueurs. Et la demande, pour SecondCell, est en forte hausse, presque 600 % plus forte qu’il y a quatre ans. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Jean-Sébastien Roy, président de SecondCell (à gauche), accompagné de son associé Mark Gutman

Pour les revendeurs comme SecondCell, SosPhone, Recycell ou Oups, les sources d’approvisionnement sont essentiellement les fournisseurs comme Bell et Telus qui disposent ainsi des téléphones retournés par leurs clients.

Garanties maison et légale

Ces revendeurs vont vérifier l’état des appareils et les remettre sur le marché, avec des garanties allant de 30 jours jusqu’à un an, dans le cas de SecondCell.

« Si on offre un an de garantie, c’est pour se démarquer et parce que c’est financièrement viable, précise M. Roy. De toute façon, s’il y a un problème, il survient généralement tôt. Si ça peut donner confiance aux gens, pourquoi pas ? »

Plus récemment, des acteurs importants comme Amazon, BestBuy, Vidéotron et Rogers sont apparus sur le marché et proposent eux aussi des appareils usagés.

Outre les garanties maison que ces entreprises offrent, elles sont toutes assujetties à la Loi sur la protection du consommateur, notamment en ce qui concerne la garantie légale, rappelle Sylvie De Bellefeuille, conseillère budgétaire et juridique à Option consommateurs.

L’appareil doit avoir une durée de vie raisonnable. Évidemment, si j’achète un appareil usagé, je ne peux pas avoir la même attente qu’avec du neuf, c’est logique, et c’est pourquoi je paie mon téléphone moins cher. Mais ce n’est pas normal qu’il me laisse tomber au bout de deux mois.

Sylvie De Bellefeuille, conseillère budgétaire et juridique à Option consommateurs

L’Office de la protection du consommateur a mis en ligne une section complète présentant 11 cas devant la Cour des petites créances qui donnent un aperçu de la jurisprudence pour les téléphones cellulaires (voir onglet « Qui a eu gain de cause ? »).

Plafonnement

Il y a quatre ans, un rapport de Deloitte avait établi que le marché du téléphone cellulaire usagé représentait « entre 300 et 400 millions » au Canada, avec 9 % de consommateurs qui choisissaient d’acheter un tel appareil. Ce phénomène, analysait-on, était appelé à exploser à moyen terme. « Ce n’est pas arrivé », prévient d’emblée un des coauteurs du rapport de 2019, Duncan Stewart, directeur de la recherche chez Deloitte Canada. Son cabinet n’a pas reconduit le sondage de l’époque au Canada, mais a fait le même exercice pour la Grande-Bretagne en 2023. Conclusion : ce sont environ 15 % des consommateurs qui ont déclaré avoir acheté un téléphone usagé, un constat qui s’applique au Canada, estime M. Stewart. « Les gens pensaient que ça pourrait monter rapidement, qu’on verrait des taux de 25 %, mais ce n’est pas ce qui arrive et ça n’arrivera pas bientôt. » La bonne nouvelle pour l’environnement, précise-t-il, c’est que les téléphones neufs sont maintenant plus durables. La durée de propriété « est passée de 18 mois en moyenne il y a 10 ans à 30 mois aujourd’hui ». Ces appareils ont maintenant presque tous une bonne résistance à l’immersion et des écrans moins fragiles, note-t-il.

Précautions entre particuliers

Un Pixel 7 affiché par Google à 799 $ offert sur Kijiji à 275 $. Un iPhone 13 à 150 $ sur Marketplace de Facebook. On peut trouver des économies particulièrement alléchantes sur des plateformes de revente entre particuliers. Mais le gain financier, ici, vient avec un risque accru.

  • On trouve facilement, sur des sites comme Kijiji, des téléphones usagés vendus jusqu’à trois fois moins cher que le même modèle neuf offert par le fabricant (photo suivante).

    CAPTURE D’ÉCRAN

    On trouve facilement, sur des sites comme Kijiji, des téléphones usagés vendus jusqu’à trois fois moins cher que le même modèle neuf offert par le fabricant (photo suivante).

  • On trouve facilement, sur des sites comme Kijiji (photo précédente), des téléphones usagés vendus jusqu’à trois fois moins cher que le même modèle neuf offert par le fabricant.

    CAPTURE D’ÉCRAN

    On trouve facilement, sur des sites comme Kijiji (photo précédente), des téléphones usagés vendus jusqu’à trois fois moins cher que le même modèle neuf offert par le fabricant.

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« Il faut faire preuve d’une grande prudence, ne pas transmettre d’argent avant d’avoir vu et testé l’appareil, s’assurer qu’il fonctionne avant de payer », précise d’entrée de jeu Sylvie De Bellefeuille.

La Loi sur la protection du consommateur ne vous sera d’aucun secours si vous vous retrouvez avec un appareil défectueux, rappelle-t-elle.

On est protégé par le Code civil, sauf si l’appareil est vendu ‟tel quel”. Il faut savoir ça : il y a des gens très honnêtes sur ces plateformes, mais on parle d’un appareil coûteux, plutôt fragile.

Sylvie De Bellefeuille, conseillère budgétaire et juridique à Option consommateurs

Une bonne nouvelle : le fabricant est toujours soumis aux obligations de la garantie légale, même s’il y a eu un changement de propriétaire, si l’appareil a été utilisé dans des conditions normales.

Gare au vol

Invité à donner des conseils à ceux qui préféreraient les petites annonces aux commerces comme le sien, Jean-Sébastien Roy se montre bon joueur. En plus des conseils d’usage – nous en présentons six plus loin –, il donne une recommandation incontournable.

Ce qu’il faut éviter, c’est quelqu’un qui vend un téléphone qui vient de sortir. Ce qui est trop beau pour être vrai, un prix qui n’a pas de bon sens, il faut éviter ça. Ce sont souvent des téléphones volés. Il va fonctionner au début, mais une fois déclaré volé, il ne fonctionnera plus.

Jean-Sébastien Roy, président de SecondCell

Le vol de téléphones et toutes ses variantes, indique-t-il, sont « un véritable fléau ». Au printemps 2022, rappelle-t-il, on a rapporté de nombreux vols à main armée au Québec dans des boutiques de téléphonie mobile. À ces téléphones s’ajoutent ceux qui ont été obtenus légalement de grands fournisseurs, mais pour lesquels l’abonné a arrêté de payer, et qui se retrouveront à terme dans le répertoire national canadien d’appareils déclarés perdus ou volés. Ajoutons les appareils achetés avec une carte de crédit volée, qui finiront également dans ce répertoire.

« C’est de plus en plus imaginatif, le vol de téléphones », note M. Roy.

Acheter d’un particulier : six conseils

  • Rencontrez le vendeur en personne avant de faire la transaction. Ne payez pas avant d’avoir vu et essayé suffisamment l’appareil.
  • Apportez votre carte SIM et faites un appel, ce qui permettra de confirmer le déverrouillage et testera les fonctions principales.
  • Appelez au *#06# et notez le numéro de 15 chiffres, l’IMEI. Vérifier ensuite sur le site verifierappareil.ca que le téléphone n’est pas rapporté volé.
  • Vérifiez la réputation du vendeur sur des sites comme Amazon, eBay ou Markeplace, ainsi que son ancienneté et le nombre d’annonces publiées sur Kijiji.
  • Assurez-vous que le téléphone a été réinitialisé. Faites-le avec le vendeur si ça ne semble pas être le cas, et configurez-le avec votre propre compte Google ou Apple.
  • Fiez-vous à votre instinct. Si quelque chose vous semble louche, laissez tomber la transaction.

Qui a eu gain de cause ?

Voici cinq jugements de la Cour des petites créances. À vous de deviner qui a gagné, pleinement ou en partie.

Modèle capricieux

En septembre 2017, Abderaouf Samadi Samadi achète un téléphone LG d’une valeur de 701 $. En décembre 2017, l’appareil est défectueux : le bouton principal du téléphone ne fonctionne pas. Il envoie le téléphone à LG pour réparation, mais M. Samadi Samadi retourne l’appareil à LG pour qu’il le répare à deux autres occasions en juillet 2018. LG propose un remplacement, M. Samadi Samadi veut un autre modèle qu’il n’obtient pas. Le nouveau téléphone présente les mêmes problèmes. Le consommateur réclame 2500 $, notamment pour « préjudice moral » et journées de travail perdues, et 14 mois de forfait téléphonique.

Verdict : victoire partielle du consommateur

Le tribunal accorde à M. Samadi Samadi 853,11 $, soit la valeur du téléphone plus un mois de forfait téléphonique, mais rien pour les journées de travail perdues et pas d’indemnité pour préjudice moral.

Consultez la décision Abderaouf Samadi Samadi c. LG Electronics Canada

Écran brisé

Dans une cause peu détaillée, Marc-David Andrade, de Senneville, demande le remboursement de son téléphone auprès du fabricant, Samsung. Il l’a échappé « peu de temps après l’avoir acheté », brisant l’écran de verre. Il considère que « le bien n’a pas servi à un usage normal pendant une durée raisonnable » et reproche à Samsung de ne pas avoir précisé la fragilité de l’appareil sur l’emballage.

Verdict : victoire du fabricant

Le juge note que le bris a été causé par un impact et non par un vice de fabrication, et que la fragilité d’un téléphone intelligent « est évidente de par ses composantes qui comprennent un écran de verre ». Le juge rejette entièrement la demande.

Consultez la décision Marc-David Andrade c. Samsung Electronics Canada

Après 22 mois

Vers 2016, Pierre-Étienne Messier a acheté de Google, à un prix non mentionné, un téléphone de modèle Nexus fabriqué par LG. Vingt-deux mois plus tard, l’appareil a totalement cessé de fonctionner. Il réclame 1086,19 $. Google conteste et allègue que la garantie d’un an est expirée, que M. Messier est responsable du bris par sa mauvaise utilisation et que les 22 mois d’utilisation constituent « une période raisonnable ».

Verdict : victoire partielle du consommateur

Le tribunal, se référant aux recherches de M. Messier, note que la durée raisonnable d’un téléphone de ce type serait d’environ quatre ans. « En raison de l’importance du vice affectant l’appareil cellulaire acheté », aucune déduction n’est faite à cause des 22 mois d’utilisation. On ordonne donc à LG et à Google de rembourser intégralement le téléphone, plus des dommages-intérêts de 29,88 $ pour l’achat d’une carte SIM et d’un adaptateur, pour une somme totale de 672,59 $.

Consultez la décision Pierre-Étienne Messier c. LG Electronics Canada et Google Canada Corporation

Vendu comme neuf

Le 2 juin 2016, Michael Shamshiri achète pour 280 $ de l’entreprise Téléphone cellulaire Futur un téléphone Samsung Galaxy Meta GT-19. Il soutient qu’il l’a obtenu dans une boîte scellée et qu’il était vendu comme neuf. À la maison, il constate qu’il ne se charge pas. Un responsable de Futur, Djamel Hafiane, soutient avoir avisé M. Shamshiri qu’il s’agissait d’un téléphone usagé et refuse le remboursement, le renvoyant à la garantie du fabricant Samsung. Le consommateur réclame 500 $ à Futur, soit le prix du téléphone et des dommages-intérêts.

Verdict : victoire du consommateur

« Il ne fait aucun doute » dans l’esprit du juge Dominique Gibbens que M. Shamshiri a droit à un remboursement de 280 $, tout en redonnant le téléphone et les accessoires à Futur. Ses « nombreuses » démarches auprès de Samsung au Canada et aux États-Unis justifient également sa demande de 220 $ en compensation. Le juge ordonne donc à Téléphone cellulaire Futur de lui payer la somme de 500 $ avec intérêts.

Consultez la décision Michael Shamshiri c. Téléphone cellulaire Futur

Garantie de 30 jours

Le 5 août 2016, Said Hafyana a acheté deux iPhone 5S à la boutique Lap Pro, au coût de 340 $ pièce, assortis d’une garantie de 30 jours. Il les croyait neufs, déclare-t-il à la cour, et voulait les offrir à sa famille en Libye, où il s’est rendu deux jours après l’achat. Il a alors constaté que les téléphones ne fonctionnaient pas et il a tenté de se faire rembourser après son retour le 13 septembre, soit neuf jours après la fin de la garantie. Le client réclame 930 $, soit le prix des téléphones et 250 $ en dommages.

Verdict : victoire partielle du consommateur

Le juge Armandon Aznar établit d’abord que le client, considérant le bas prix payé, « ne pouvait raisonnablement croire que lesdits téléphones étaient neufs au moment de l’achat ». De fait, ils dataient de deux ans. À la garantie de 30 jours offerte par le commerçant s’ajoute cependant un engagement que le téléphone serve « à un usage normal pendant une durée raisonnable ». La demande de dommages de 250 $ est rejetée, mais on ordonne au commerçant de rembourser le prix d’achat de 680 $.

Consultez la décision Said Hafyana c. 9238-7901 Québec Inc fasn Lap Pro