J’étais contre les projets d’hydrogène vert au Québec.

J’étais contre parce que, d’abord, les promoteurs avaient souvent l’intention d’exporter leur production. La belle affaire : ils auraient pris notre électricité très peu chère pour la transformer et la revendre sous forme d’hydrogène vert à bon prix ailleurs. Les promoteurs se seraient enrichis sur notre dos, sous le prétexte de la défense de l’environnement.

J’étais contre, aussi, parce que nos besoins énergétiques sont immenses. Or, la conversion de l’hydroélectricité à l’hydrogène vert, avec électrolyse de l’eau, entraîne une perte d’énergie d’environ 30 %. Seuls quelques usagers bien spécifiques – et peu nombreux – en tireraient parti. Mieux vaut alimenter les clients avec l’hydroélectricité directement.

J’étais contre, enfin, en raison de la dynamique de notre système d’énergie. De tels projets d’hydrogène vert sont viables dans les pays où l’énergie renouvelable, par moments, est produite en pure perte, comme c’est le cas lorsque des éoliennes tournent à vide la nuit et qu’il n’y a pas de batteries pour emmagasiner cette énergie. La convertir en hydrogène vert devient alors intéressant.

Or ce n’est pas le cas d’Hydro-Québec, qui peut faire jouer le rôle de batteries à ses réservoirs de barrage en y faisant varier le niveau d’eau.

J’étais contre, donc, mais je me suis prononcé pour à une condition : que les promoteurs de tels projets produisent eux-mêmes leur propre énergie verte pour le faire – typiquement entre 7 et 9 cents le kilowattheure – plutôt que de siphonner l’énergie bon marché d’Hydro-Québec, à 5,3 cents le kilowattheure.

J’ai d’ailleurs suggéré exactement cela il y a un an dans une chronique intitulée « Réflexion énergétique pour Pierre Fitzgibbon », au moment où il avait été nommé ministre de l’Énergie1.

Jamais les promoteurs n’accepteraient une telle chose, m’étais-je dit, même si la loi d’Hydro-Québec le permet, selon ma compréhension. Trop coûteux, pas rentable2.

Or voilà, le projet de 4 milliards en Mauricie présenté vendredi par TES Canada évite presque tous ces écueils.

D’abord, toute sa production sera destinée aux besoins locaux. Et l’entreprise alimentera son électrolyseur en produisant sa propre énergie renouvelable.

Oui, d’accord, Hydro-Québec fournira 150 mégawatts, soit le tiers des besoins, mais les deux tiers du courant viendront des propres éoliennes et panneaux solaires de TES, ce qui apparaît comme un compromis acceptable.

Il l’est d’autant plus que l’entreprise utilisera son propre réseau de transport d’électricité, qu’elle veut enfouir sous terre, et qu’elle s’engage à délester complètement le bloc de 150 MW d’Hydro-Québec lors des très coûteuses périodes de pointe hivernale.

Le projet sera-t-il rentable ? Bonne question. Pour le savoir, il faut se baser sur la principale utilisation du produit, soit sa conversion en gaz naturel synthétique pour le client, Énergir, qui négocie pour acheter les deux tiers de la production.

TES aura un intrant au coût moyen de 7 cents le kilowattheure, environ, si l’on amalgame le prix probable de sa propre énergie (environ 8 cents le kilowattheure) à celle d’Hydro (5,3 cents).

Une fois électrolysée et convertie en gaz naturel, cette énergie reviendrait à environ 34 $ le gigajoule, selon les paramètres de l’Institut de l’énergie Trottier. Or, le gaz naturel se vend actuellement environ 7 $ le gigajoule au Québec, redevance carbone comprise.

Bref, le gaz vert se vendrait presque cinq fois le prix du gaz sale. À ce prix, qui en voudra ?

Coup de fil à Renaud Lortie, d’Énergir. Le vice-président à l’approvisionnement m’explique qu’actuellement, il achète le gaz naturel renouvelable, fait avec la biomasse, pour 19,12 $ le gigajoule. Ce gaz renouvelable représente environ 2 % de ses ventes en 2023, écoulées à 75 % auprès de clients industriels.

Mais voilà, le prix du gaz propre, comme la plupart des énergies renouvelables, ira croissant au cours des prochaines années. Et Énergir est tenu, par la réglementation, de faire passer à 5 % la part de ses ventes de gaz propre en 2025 et à 10 % en 2030.

Autre aspect : des normes sont en préparation pour attribuer un indice de qualité au gaz propre vendu sur les marchés. Le gaz vert de TES risque de coter fort, vu ses intrants, ce qui en fera augmenter la valeur.

Enfin, le prix des GES, qui représente le tiers du prix du gaz actuellement, devrait tripler d’ici cinq ans, ce qui augmentera le prix du gaz sale.

Bref, l’écart de prix du gaz vert avec le gaz sale et les autres gaz propres risque de diminuer progressivement d’ici quelques années. Et après tout, c’est à l’entreprise, entièrement privée et sans subventions – outre les crédits d’impôt – de se débrouiller avec cet enjeu.

Au fait, pourquoi les industriels veulent-ils acheter un tel gaz vert ? Parce que les exigences environnementales se resserrent et que 25 % du secteur industriel n’est pas « électrifiable », et est donc impossible à décarboner avec l’énergie d’Hydro-Québec.

Pour atteindre ses cibles de décarbonation, le Québec doit donc offrir une solution de rechange à de tels clients, dont font partie les aciéries et les cimenteries, par exemple.

J’étais contre les projets d’hydrogène vert. Je ne le suis pas pour un tel projet, du moins s’il respecte ses promesses.

Aura-t-il des parcs éoliens et solaires acceptables pour la population ? Parviendra-t-il à bâtir son réseau et son électrolyseur dans les coûts attendus ? Évitera-t-il de quémander de l’énergie à Hydro-Québec si son réseau n’est pas aussi fiable que prévu ? Offrira-t-il un prix concurrentiel à Énergir ?

Bien hâte de voir la suite…

1. Lisez la chronique de septembre 2022 « Réflexion énergétique pour Pierre Fitzgibbon »

2. Aucun ne l’a jamais fait, d’ailleurs, sauf les alumineries (surtout Rio Tinto), mais c’est parce que son réseau électrique a été bâti il y a des lustres, à faible coût, grâce aux cadeaux des gouvernements.